dimanche 11 février 2018

Le Port de Casablanca




Le Port de Casablanca
Que beaucoup de Casablancais ignorent


Photo aérienne G. Durand

Au centre de cette belle photographie, l'imposant édifice des docks-silos de la chambre de commerce et d'industrie de Casablanca ressemble à une cathédrale des temps modernes. A sa gauche, l'avenue qui conduit en ville ; à sa droite le môle du commerce, plein d'activité et de hangars. Au dernier plan, se pressent les maisons basses de la ville marocaine, toutes surprises du spectacle que leur offre chaque jour et chaque nuit ce port inattendu.

La ville de Casablanca, on l’a dit souvent et on peut le répéter puisque c'est vrai, tourne le dos à l'Atlantique. Au contraire de Tanger, havre naturel où la mer occupe dans le décor la place principale, Casablanca offre à ses habitants et à ses visiteurs un visage essentiellement urbain. Pour constater que cette ville est aussi un port, il faut faire l'ascension de la tour des Services Municipaux ou regarder l'horizon par les fenêtres d'un appartement situé au 19ème étage. Alors la physionomie maritime de Casablanca se révèle. L'étendue de son port apparaît et les bâtiments, les quais et les navires qui le peuplent.


 Photo aérienne G. Durand

Encadré par la grande jetée, à gauche, et par le môle des phosphates, à droite, voici le port de Casablanca tel qu'en lui-même le génie de Lyautey l'a changé. Au premier plan la vieille Médina encore partiellement ceinturée de remparts. A gauche au deux plan, l'amirauté et ses services. A droite, au deuxième plan, les magasins de la manutention marocaine. Au dernier plan, à droite le faubourg industriel des roches-noires, en direction duquel l'agrandissement du port est projeté.


Le voyageur qui est arrivé par mer à Casablanca n'a pas eu le désir ni le temps de voir ce port. Au petit jour, par le hublot de sa cabine, il a aperçu une côte noyée dans la brume et quelques constructions peu à peu dorées par le soleil. Mais l'arrivée du bateau, l'accostage, les derniers pourboires et les premières formalités accaparent le nouveau venu. Par la portière du taxi qui l'emmène « en ville », c'est à peine s’il jette un regard distrait sur les terre-pleins, les magasins, les marchandises qui s'entassent, les ouvriers qui s'affairent. Pour percevoir, il faut savoir, dit un philosophe.

Le nouveau venu ne sait pas encore, ne connaît pas l'histoire du port de Casablanca, il ne peut donc le percevoir tel qu’il est, et en saisir tout de suite le sens et la grandeur.

Il manque aussi à Casablanca ; ainsi l'ont voulu la Nature et les urbanistes : un boulevard front de mer ou puisse se promener le visiteur, une fois débarrassé de ses bagages et de ses soucis d'arrivée. C'est pourquoi la première façon de connaître le port de Casablanca, ce n'est pas de retourner le voir sur place, mais de le chercher dans des livres. Plusieurs ouvrages existent, d'épaisseurs variées, qui retracent son histoire et permettent d'en observer avec une surprise teintée d'admiration la naissance et le rapide développement.

Photo Chelle

Les romains qui naviguaient moins que les grecs mais qui avaient une certaine expérience des choses de la mer avaient donné à la cote marocaine un nom qui lui convenait parfaitement « (lutus importuosum ». C’est à dire la cote impropre à la construction de ports. Les premiers bâtisseurs du port de Casablanca ont vérifié cette redoutable impropriété, qu'illustrent la photographie ci-dessous et celle qui qui est qui est au dessus, qui représente le naufrage d'un bateau lors ; du raz de marée de 1913, où plusieurs navires furent jetés à la cote


 Photo Chelle

                                                                                                                                                

Après les études faites en 1905 par M. Renaud, Ingénieur hydrographe en chef de la Marine, la création d'un port de batellerie fut décidée. Les finances marocaines ne pouvaient envisager la construction d'un port pour les grands navires, en raison de la nature des fonds, de la grosse houle d'hiver, et surtout du raz-de-marée aux dangereuses lames brisantes.


Construction des blocs pour le port. 

Le hasard qui fait parfois bien les choses, et qui accepte d'ailleurs d'être aidé, nous a fait retrouver un article du « Temps » du 07 août 1907. On peut faire figurer ce texte parmi les actes de naissance du port de Casablanca, ainsi que le montrent les passages suivants :

"Casablanca fut toujours un des centres commerciaux les plus actifs pour les peaux et les laines, et son importance s'accrut encore le jour où le gouvernement chérifien cessa d'interdire l'exportation de certains produits, et particulièrement les céréales ; aussi il n'est pas rare de voir pendant l’été une quinzaine de vapeurs à l'ancre devant la ville. Ce n'est pas qu'ils y trouvent plus de facilités ou moins de dangers que sur les autres points de cette côte inhospitalière, mais Casablanca est le débouché des produits des vastes plaines centrales du Maroc, et elle n'a cessé de voir augmenter le nombre des navires qui la visitent et le chiffre de sa population".

"Loin de se préoccuper d'améliorer les conditions déplorables que la nature imposait au commerce maritime d'une des villes les plus prospères du Maroc, le Maghzen n'eut pendant longtemps d'autre désir que de voir les choses rester en cet état, parce que c'était un puissant obstacle à la pénétration du pays et que tous ses efforts visaient à la rendre impossible".

"Cependant, sur la demande formelle et répétée des représentants des puissances, qui ne cessaient de lui transmettre les doléances de leurs nationaux fixés à Casablanca, le sultan. Moulay Hassan ordonna quelques améliorations, et l'on commença la construction d'une petite jetée en maçonnerie ; mais ce travail, entrepris sans études préalables, fut abandonné dès qu'on en constata l'inutilité. Les choses continuèrent donc à aller comme par le passé, et même de mal en pis, puisque l'encombrement augmente toujours et que l'absence de tout abri naturel ou artificiel condamne à ne faire le transbordement des marchandises qu'avec de petites barcasses indigènes qu'il faut haler au sec chaque fois que la mer devient mauvaise".

.On ne peut même pas avoir un nombre suffisant de ces barcasses, tant à cause de l'emplacement exigu dont on dispose, que du peu de hâte avec lequel on remplace celles qui se perdent, assez fréquemment d'ailleurs. D'autre part, l'unique petit quai d'embarquement ne communique avec la ville que par une porte étroite et basse, percée dans l’enceinte ; les magasins de douane sont mal situés, à demi obscurs et de dimensions suffisantes".

« Bref, de l'avis de tous les négociants, et même des fonctionnaires marocains qui sont quotidiennement assaillis de réclamations, de demandes d'indemnités, etc. La situation est intolérable et l'on comprend que des pétitions se soient succédé sans interruption contre cet état de choses. ».

Les premiers travaux commencèrent effectivement le 2 mai 1907. Interrompus par les événements du mois d’août de la même année, ils reprirent bientôt sous le signe de la paix française que les Drude, d'Amade et les Moinier firent régner à Casablanca et dans les Chaouïa. Mais il fallut la signature du traité du Protectorat et l'esprit d'initiative de Lyautey pour que la construction d'un grand port moderne fut décidée et menée ci bien, malgré tous les obstacles.


                                                                                                                                                Photo Chelle
Les premiers travaux du port, devant les remparts de la vieille Médina, étaient gènes souvent par la tempête, et la voie ferrée recouverte par les eaux. Il fallut, pour réussir, que les constructeurs eussent au cœur le même « AES TRIPLEX » qu’Horace prête aux premiers navigateurs.


Photo prise par l'enseigne de vaisseau Bérenger.

Août 1907... La plage de Casablanca est déserte. Les fanatiques ont fui, ou sont en train de piller la ville. Les corps des victimes de ces journées tragiques ont été transporté au consulat de France. Seule reste au bord de l’Océan la petite locomotive que des fanatiques ont fait dérailler après avoir massacre les ouvriers


Photo prise par l'enseigne de vaisseau Bérenger.




 Photo Chelle
Voici en 1921 dans un décor beaucoup plus moderne le port qui s'organise et qui se développe à l'abri de la grande jetée, se prolongeant dans l’Océan, à droite, à l'avant-dernier plan.


Aujourd'hui le port de Casablanca occupe une surface d’environ cent hectares. Il est protégé par la grande jetée ou jetée Delure, du nom d'un des meilleurs adjoints de Lyautey, longue de 2.600 mètres et par la jetée transversale longue de 1.545 mètres. Le principal caractère de ce port et de servir à des multiples fins, car il est à la fois port de commerce, port de voyageurs et de touristes, port de pêche port militaire, port charbonnier, port pétrolier, et peut-être un jour port franc, si les efforts de quelques hommes d'action aboutissent.

Comme l'a dit M. Henri Croze, dans une conférence très documentée faite devant ses pairs de la Chambre de Commerce et d'industrie, « l'activité du port de Casablanca est constante et tout laisse prévoir qu'elle prendra dans l'avenir un développement accru. C'est pourquoi le Gouvernement du Protectorat, en plein accord avec la Chambre de Commerce et d'Industrie, poursuit sans interruption, les travaux d'aménagement el d'agrandissement du port ».

Les projets d'agrandissement actuellement à l'étude comprennent :

a) La création de l'avant-port.

b) L'allongement de la grande jetée.

c) La création d'un bassin .de radoub.


Photo Entreprise Schneider
Au premier plan à droite, le jardin public. A gauche une maison qui sera démolie pour faire place à l’Amirauté. Au deuxième plan le port qu'on commence à construire après l’adjudication du 21 mars 1913.


L'avant-port consiste en la création d'une nouvelle jetée transversale d'une longueur de 1.500 mètres sensiblement pareille à la jetée transversale actuelle dont elle sera séparée par une distance de 1300 mètres environ.

En même temps, sera poursuivie, jusqu'au point 3 km. 500 la construction de la grande jetée dont la Longueur actuelle atteint 2.600 mètres. De ce fait, la superficie nouvelle du port se trouvera accrue de 195 hectares environ.

La moitié de cet avant-port sera réservée à. la Marine Nationale, l'autre moitié étant affectée aux besoins du Commerce.



Photo aérienne G. Durand.
Cette belle photographie illustre la boutade d'un marin de haut rang qui disait un jour. « Le port de casa manque d'eau « On voit en effet le nombre important des quais, l'ampleur des magasins et des constructions de toutes sortes nécessaires a la vie d'un port moderne. Mais ce marin a raison, et c'est pourquoi selon des projets dont l'étude très avancée, le port de Casablanca s'étendra un jour du côté des Roches Noires, quartier industriel dont on distingue les usines et les fumées au dernier plan.

Un projet est en cours, tendant à créer une forme de radoub à l'intérieur du vieux port, à l'endroit dit « Darse de la Marine ». Sa longueur sera de 140 mètres. Le délai d'exécution probable sera de 4 ans. Les dépenses prévues sont de l'ordre de 400 millions. L'Administration envisage d'en donner la concession à une Société privée groupant entre autres ; S.A.G.A., Chantiers Navals, Compagnies de Navigations diverses, etc..


Photo Belin


Pour mener à bien ces travaux nécessaires, on aura besoin d'argent, qu'on se procurera soit par des taxes portuaires, soit par emprunt, soit par ces deux moyens à la fois. M. Lacoste, ministre plénipotentiaire, délègue de la Résidence générale, et M. Fourmon, directeur des Finances, qui se sont penchés sur cette grave question au mois de novembre dernier, ont quitté le Maroc. Mais le problème demeure, qu'il faudra résoudre.

En attendant, pour oublier ces soucis de financement et d’équipement, faisons une promenade à l'intérieur du port. Pour arriver à la petite darse où nous attend la vedette, nous traversons une véritable ville de hangars, d'entrepôts et de chantiers navals, où circule un peuple de dockers, d'ouvriers et de douaniers. Nous découvrons des rues inattendues sillonnées de lourds camions. Bientôt la vedette sort du petit port et pénètre dans le bassin Delande ou, à l'abri de la grande jetée, les navires accostent le mole du Commerce, dominé par le haut édifice des Docks-Silos. Entre le mole du Commerce et la jetée des Phosphates s'étend le bassin Delpit ou meurt la houle du large. Énormes et immobiles, des bâtiments de tous pays attendent près des quais. D'autres, n'ayant pu trouver la place d'accoster, sont ancrés plus loin, protèges par les deux jetées. La vedette va et vient dans ce havre immense et peuplé, où l'odeur du mazout se mêle aux senteurs du large.

Photo B. Rouget

Toute la Poésie d'un Port, toute sa puissance de rêve et d'évocation, toute sa « photogénie » est résumée dans cette vue du port de Casablanca, ou l'on voit tout. Les chaines, les grues, les bateaux, les hommes, les hangars, les docks. Tout sauf la mer qui se cache, comme un metteur en scène, pour mieux régler les décors et les acteurs


Puisque le ciel est bleu, et la houle faible, la vedette gagne le large. Elle franchit, un peu secouée, la frontière qui sépare l'Océan du port, et nous apercevons bientôt la nageoire dorsale d'un requin qui fend l'onde à toute vitesse. Autour de nous, « la mer, la mer toujours recommencée ».

La ville et le port ont disparu dans la brume qui borde la côte. Mais ces réalités surgissent de nouveau, actives et présentes, lorsque la vedette vire et se dirige vers l'horizon humain. Un nouveau visage du port s'impose aux regards, et de cette courte promenade, nous gardons la conviction d'avoir découvert une vraie ville maritime, inconnue de la plupart des Casablancais.

Le souvenir nous en poursuivra pendant plusieurs jours et nous comprendrons mieux les vérités qu'annoncent et que décrivent brièvement les rubriques maritimes des quotidiens locaux...





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