La ville de Safi a inscrit dans le programme des curiosités à montrer aux touristes ses ateliers de poterie. Ceux-ci ont une histoire qu'il n'est pas sans intérêt de connaître, puisque nous devons tous nous attacher à étudier de notre m'eux le passé, dans lequel, hélas les points nébuleux restent encore nombreux.
La fabrication de la poterie à Safi est réputée ancienne, c'est-à-dire que d'après les renseignements oraux qu'il a été possible de se procurer, elle remonterait à 150 ans.
A cette époque il existait deux corporations, la principale se trouvant au R'bat et utilisant la carrière de glaise sur laquelle est aujourd'hui construite l'infirmerie indigène. Son dernier four a disparu en 1920, en raison de l'extension prise par la ville.
La deuxième corporation a eu plus de chance. Grâce à l'intervention du Service des Beaux-Arts qui a fait classer, en 1920 le quartier des Potiers comme monument historique, elle a pu rester sur son emplacement originel. Il était d'ailleurs grand temps que le dahir protecteur intervînt : déjà des Européens avaient entamé des pourparlers pour acheter les ateliers de poterie et édifier à leur place, des habitations. Ainsi la disparition de l'art céramique à Safi eût-elle été consommée !
A la tête de chaque corporation se trouvait un Amin, selon l'usage établi au Maroc. Un des plus avantageusement connus a été Hadj Mohamed Leghmaz qui vivait il y a 140 ans environ. Sa réputation s'étendait jusqu'au Sous d'où les Chleuhs lui apportaient du minerai de plomb qu'il utilisait pour la fabrication de l'émail. Ils retournaient chez eux en emportant des poteries de Safi.
Il faut dire qu'à cette époque, on fabriquait surtout des poteries non émaillées. Cependant quelques potiers et Hadj Mohamed Leghmaz était du nombre, livraient des pièces émaillées de teinte unie : jaune, verte, bleue ou blanche. Quelquefois même la fantaisie leur prenait de faire des poteries, dites El Farouzi, qui étaient de deux couleurs différentes réparties sur chaque moitié de la pièce.
Cette fantaisie constituait l’art moderne du temps. Les zelliges, dont l'industrie était alors prospère, servaient d'émail. C'est cet Amin qui, le premier, fit venir un céramiste de Fès. L'histoire a d'ailleurs conservé le nom de ce mâallem qui s'appelait Hadj Abdeslam Lengassi. On peut encore juger de son habileté par deux pièces conservées par la famille Leghmazen souvenir de son aïeul. Ce furent les premières poteries décorées qui furent faites à Safi.
La légende rapporte que le mâallem ne fit pas ses affaires et dut retourner à Fès. On dit qu'un jour il calcina de l'argent au lieu de plomb, parce qu'il en manquait, et que son émail ainsi préparé lui étant revenu trop cher, il perdit beaucoup d'argent sur cette fournée. Quoi qu'il en soit, d'autres mâallemin vinrent de Fès à sa suite notamment Megzari, Aïssaoui et Sellam Bakour qui, tous trois, entrèrent en association et produisirent de grandes quantités de poteries décorées semblables à celles qu'on fabriquait alors à Fès. On les vendait beaucoup dans le Sud marocain.
Ces trois mâallemin firent souche dans le pays et formèrent des apprentis. D’ailleurs à eux vinrent se joindre bientôt d'autres ouvriers réputés qui s'appelaient Abd el Ouahad, Abbés Megzari, Kaddour Lioussi et Hadj Abdeslam. Leur activité fut sans égale et on dit aujourd'hui,que personne ne peut rendre autant de travail qu’eux dans le même laps de temps.
Avec ces ouvriers, la technique de Fès s'implanta naturellement à Safi ; aussi ne doit-on pas s'étonner si on retrouve dans d'anciennes poteries safiotes des formes, des couleurs, des décors identiques. L'imitation était d'autant plus obligée que les mâallemin fassis établis au R’bat ou dans le quartier des Potiers avaient conservé des relations suivies avec leurs familles.
Ces mâallemin formèrent à leur tour un certain nombre d'apprentis qui ne sont pas tous devenus des artisans si l'on en juge par l'un des survivants aujourd'hui chef de barcasse au port.
Néanmoins les traditions furent continuées, avec succès même, par deux ou trois potiers, Ould Ali qui partit à Taroudant, et surtout Ahmed M'dasmi qui fut digne de ses maîtres. Ce dernier fabriqua des pièces magnifiques qui lui valurent une grande renommée dans tout le Maroc méridional.
Malheureusement il perdit la pureté de son art en écoutant les conseils d'un consul espagnol fort .porté pour le style hispano-mauresque et qui lui commanda plusieurs pièces de ce genre. Il crut faire bien de continuer les modèles qu'on lui avait demandés, ne se rendant pas compte que les galbes compliqués, les anses énormes et découpées, les gargoulettes en forme de tonneaux n'avaient plus rien de marocain. L'originalité de l'art local était ainsi perdue.
Ce mâallem mourut en 1914, laissant deux élèves : Abdallah et Si Mohamed Souiri, qui ne surent pas réagir contre les dernières tendances de leur maître et qui n’ont produit que des œuvres mièvres dans lesquelles l'art et la technique fassis ont pour ainsi dire disparu uniformément, la couleur est bleue : les beaux polychromes d'antan n'existent plus.
Faute de relations avec Fès, ces mâallemin en sont réduits à faire venir du bleu d'Angleterre. Ils ignorent le marché de Fès sur lequel on trouve les oxydes de chrome et de manganèse qui viennent du Tafilelt. D'autre part, n'ayant plus de maîtres pour les guider, ces artisans médiocres se laissent inspirer par leur pauvre imagination. Si bien que dans le dernier état de choses, l’art de la céramique était en pleine décadence.
C'est à ce moment que M. De La Nézière, adjoint au directeur du Service des Beaux-Arts, créa un atelier de céramique à Rabat, dans le but de rénover cet art.
En 1918, passant par Paris, il demanda conseil à l'administrateur de la Manufacture Nationale de Sèvres qui lui indiqua un céramiste algérien, élève de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts d'Alger, dont l'utilisation serait excellente pour le but qu'il se proposait.
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