mardi 6 mars 2018

HAFÇA. Femme de Lettres arabe






HAFÇA


FEMME DE LETTRES ARABE


Née à Grenade | Morte à Marrakech | 586 de l'Hégire ; 1187 de l'ère chrétienne.







Il fut un temps Oullada, Hamda, Hafça

Que de sourires se dessineront sur nos lèvres ! 
Quoi ! Des femmes de lettres pourraient-elles se rencontrer parmi-ces formes humaines couvertes d'une draperie blanche d'où deux yeux noirs de Kohol et parfois pleins de malice, se laissent seuls voir, comme à Fez ou à Marrakech, ou moins que cela, une seule prunelle, comme à Rabat ? Non, hélas ! la grande majorité de ces marocaines sont illettrées Leurs époux et seigneurs, sous couleur d'assurer leur saint et de soutenir leur faiblesse, leur ont fait renoncer à toute liberté. Elles vivent, maintenant, dans une claustration plus ou moins complète, ayant pour seules ambitions, celles d'avoir un intérieur le plus luxueux possible, d'être couvertes de lourds bijoux et d'être les seules à régner sur le cœur de leurs maîtres. Il fut un temps, cependant où les Arabes jouissaient d'une civilisation très avancée.
Aux huitième et neuvième siècle de l'ère chrétienne, elle était déjà des plus brillantes. S'étant mis à l'école des Grecs, les Arabes s'étaient si bien assimilé les connaissances de leurs maîtres, qu'ils continuaient les œuvres de leurs devanciers et leurs productions s’étaient frappées du sceau de leur originalité.
Médecine, mathématiques, astronomie, sciences, (physiques et-naturelles), histoire, géographie, philosophie, œuvres poétiques et de prose... florissaient !
Même essor dans les arts et l'industrie. Point n'est besoin de s'étendre sur ce sujet, le lecteur le moins averti n'est pas sans connaître l'importance de cette civilisation.
A cette époque, la femme arabe recevait une éducation des plus soignées. On lui enseignait aussi bien la littérature que les sciences, la médecine que la musique. De plus, les femmes tenaient, pour ainsi dire, salon. Les savants, les poètes et les fins causeurs avaient accès chez elles et la conversation enjouée ou sérieuse allait son train. 
Si l'Orient peut se vanter d'avoir eu la savante Chohda ou la fine Zobeïda, la femme de Haroun Er-Rachid, l'Occident, c'est-à-dire l'Andalousie, peut mettre en avant les noms de Oullada, Hamda, Hafça... Cette émancipation de la femme n'alla pas sans quelque relâchement dans les mœurs. « Oullada était, dit Ibn-Bassam, la première femme de son temps.
Son allure libre, son dédain des voiles témoignaient de sa nature ardente. C’était d'ailleurs le meilleur moyen de montrer des qualités intérieures, et plastiques remarquables, la douceur de son visage et de son caractère.
Sa maison à Cordoue, était le lieu de réunion de tous les gens bien nés de la capitale. Son salon était le champ clos où luttaient poètes et prosateurs. Les lettres se dirigeaient vers la lumière de cette nouvelle lune brillante comme vers le phare de la nui... » (Cour. Ibn Zaïdoun.)
Cette Oullada, qui répondait à des poèmes par des poèmes, était princesse.
A la mort du Calife Omeyade Mohammed el Mostakfi, son père, elle délaissa le gynécée et vécut à sa guise, ouvrant la porte de sa maison à la meilleure société de Cordoue. Elle illustra bien des passions, et l'amour qu'elle fit naître dans le cœur d'Ibn Zaïdoun a fait écrire à ce poète des vers qui sont une des plus belles parures de la littérature arabe d'Espagne.
Quoique les sultans du. Maroc aient été amenés à différentes reprises à gouverner l'Andalousie et que tous les personnages célèbres dans un pays, ont eu leur réputation légalement établie dans l'antre, en voici une des femmes de lettres arabes de l'Andalousie, celle qui est venue finir sa vie à Marrakech ; en l'année 586 de l’Hégire ; (1187 de l'ère chrétienne).


Voici sa biographie telle que la donne le grand écrivain Andalou Ibn el Khatib.
« Hafça, Bent el Hadj Rakouni, originaire de Grenade ; était la perle de son époque, par sa beauté, sa grâce et son esprit railleur. Elle était nourrie de lettres, fort intelligente, avait la répartie spirituelle, et une improvisation facile dans la poésie.
Le vizir Abou Bakr ben Yahya rapporte à son sujet, ce qui suit :
« Ma sœur voulut faire une visite à Hafça pour lui demander un autographe, et notre poétesse lui écrivit ce distique «:

« O reine de beauté ou plutôt reine de bonté,
« Que tes yeux ne soient pas sévères pour ce qu'a tracé ma plume !
« Examine le d'un regard d'amie bienveillante.
« Ne fais pas attention à la médiocrité de mon écriture et de mon style ».

Un certain auteur du nom d’Abou el Hassan ben Saïd nous conte que ledit vizir était dans ses bonnes grâces de Hafça et qu'une forte sympathie les inclinait l'un pour l'autre.
A Houz-el-Moum ‘mil, dans un jardin, Abou Bakr et son amie passent la nuit comme savent le faire les gens d'esprit et de lettre-. Il lui déclame ces vers :

« Donc Dieu perpétue le souvenir de cette nuit.
« Il n’aura pas éternisé le souvenir d'un temps blâmable
« Qui nous déroba à tous les regards, à Houz-el-mou ‘mil.
« Du côté de la colline, arrivaient des senteurs,
« Et la brise, en soufflant, apportait le parfum des œillets.
« Un tourtereau chanta dans le grand arbre
« Et un rameau de myrte plia au-dessus du ruisseau.
« Le jardin a paru tout joyeux de ce qui s'y passait :
« Accolades, embrassements et baisers humides qui allaient suivre ».

Elle lui répondit par ceux-ci :

«. Par ta vie, le parc n'eut pas de joie à notre union,
« Mais il manifesta comme une haine secrète et de la jalousie.
« La rivière ne murmura pas pour applaudir
« À notre rapprochement et le tourtereau ne roucoula que par suite de sa triste.
« N'aie donc pas bonne opinion (de tout) tu mérites
« Cependant que tout soit comme tu t'en fais l'idée
« Car cette opinion n'est pas en toutes occasions, conforme à la vérité.
« Il m'a semblé que le ciel ne s'est allumé d'étoiles que, pour qu'elles nous épiassent.
« Qu'elle est jolie cette lettre rimée.
 Ajoute l'auteur qu'elle lui adressa lorsqu'elle sut que son ami, épris d'une esclave noire qui-lui fut amenée d'un certain Ksar, consacrait à cette dernière des nuits et des jours dans les environs de. Grenade, sous de grands ombrages, dans les plaisirs de l'amour, tantôt longs, tantôt courts !

« Ô le plus fin des hommes, avant d'être dans un état
« Dans lequel le sort l'a jeté.
« Tu aimes donc une négresse d'un teint aussi sombre que la nuit.
« Tout ce qu'a de merveilleux la beauté est voilé.
« La gaieté ne peut apparaître sur ses traits ténébreux,
« Mais non, plus la pudeur n'y peut être remarquée.
« Par Dieu, dis-moi
« N'es-tu pas le plus averti de ceux qui ont parcouru les rives des cours d'eau.
« Qui ne s’est jamais promené dans un jardin où il n'y avait
« Ni fleurs blanches, ni fleurs aux couleurs éclatantes.
Il lui répondit s'accusant le plus galamment, et usant de toutes les finesses de la rhétorique.
« Il n'y a pas eu d'autre arrêt qu'un ordre que s'abstint
« De transgresser celui dont la faute est pardonnable.
« Qui l'a prononcé à un visage dont dépend ma vie ;
« J’en abriterai le contour par des remparts.
« Il est rayonnant telle une radieuse matinée de fête,
« Ou un lever de soleil ou de lune.
« Mais par malchance, je n'ai pu lui exprimer mon affection
« Que clans une altercation dont le bruit s'est répandu.
« J'ai perdu mon amie, et ma passion s'est assombrie.
« Mon esprit et mon regard ont vu les choses à l'envers.
« Si tu ne me jettes un coup d'œil ô toi si chère, ô mon
« Âme, comment mes idées ne s'égareront elles pas « ? 

Une fois, il s'était enfermé, avec ses familiers, pour une partie de plaisirs. S'étant déguisée, Hafça passa à la porte et remit au concierge un billet avec ce distique :

« Une visiteuse est venue ; elle a les flancs graciles
« De la gazelle et elle désire s'unir à son ami.
« Lui donneriez-vous l'autorisation d'entrer ou quelque
« Empêchement s'y opposerait-il ?

Quand il reçut la missive, il s'écria :
 Par le Dieu de la Kaâba, l'auteur ne peut en être que la moqueuse Hafça ! Il la fit demander et elle fut introuvable. Il lui écrivit ces quelques vers, tant il était désireux qu'elle arrivât pour se délecter à sa société.

« Quelle occupation m'empêcherait-elle de recevoir
« L’aimée, dont la venue fut aussi éblouissante pour moi que le lever du soleil ?
« Viens, donc, toute pleine d'affection ! Je te désire plus
« que la réalisation de tous mes vœux. Depuis combien de
« Temps me remplis-tu d'attente.
« Par le plaisir, la boisson prise le matin ou la soif,
« Est-elle délectable, si tu t'éloignes de moi.
« Non, je le jure par le joug de l'amour et la joie de la rencontre ;
« Et c'est le plus cher des chemins qui y conduit »

Elle était, dit l'auteur, le professeur de ce temps et à la fin de sa vie, elle enseignait les femmes dans le palais d'Yacoub El Mansour. Ce dernier, un jour, lui demanda d'improviser quelques vers. C'est ce qu'elle fît.

« Faites-moi la grâce de me donner une pièce officielle
« Où se trouvera assurée ma vie matérielle.
« Que ta main droite y écrive : Louange à Dieu seul. »

Il se montra généreux à son égard et lui assura comme biens propres tout ce qu'elle possédait.

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