mercredi 8 juillet 2020

A N F A

A N F A

Document extrait de la collection particulière de R. Bérenger.
NFA, qu'aucuns nomment Anaffa, eft vne: tref grande Ville qui a efte baftie par les Romains fur le riuage de la mer Oceane, fe petit: paragonner a toutes les autres villes d' Affrique,quant à la fituation & plaifance du lieu,ou elle eft. Elle a de tous coftez vne plaine (fors de la part de Septentrion, ou elle regarde la mer) qui a vingt & huit lieues en longueur. Elle eut jadis des temples qui eftoyent magnifiquemêt baftiz, grand nombre de boutiques,palays, d'excellêce, dont les marques & reliques, qui y font iufques à prefent demourees donneront affes fuffifant tefmoignage. . Ils ont eu grands jardins & vergers fpacieux defquels ils recuillent fruicts en grande abondance, principalement melons & citrons qui paruiennent à maturité à mi-Auril : & pourtant les habitans de ce pays portent vendre leurs fruicts à Fies,ou ils ne meuriffent fi toft.Quant à la guife de leurs habits & parures; elle eft affes propre & mignone, aufsi ont ils toufjours eu accointance auecques les Portugoys & Angloys. Il y, a, en cefte ville grand nombre de perfonnages lettrez.

En 1556, Jean Temporal en publiât une traduction, qui était dédiée au Dauphin François, fils du roi de France Henri II et dont nous avons extrait du Passage ci-dessus consacré à Anfa.

Anfa disparut de l'histoire du Maroc. On a peine à croire en voyant la ville moderne de Casablanca, si grande et si puissante, qu'elle n'ait pas été précédée par quelque florissante, cité à l'instar des métropoles européennes. 



Une cité Paisible dans l'attente.                                     Photo Chelle.

En fait l'histoire de Casablanca commence au début du XXe siècle. En 1907, lorsque débarquent les marins de l'amiral Philibert, pour mettre fin au pillage de la ville par les tribus révoltées, Dar Beida est une bourgade obscure. Quelques commerçants européens y sont établis, mais l'accès du port. Si l'on peut employer ce mot est très difficile, et le séjour en ville manque de confort et d'agréments. 
Les témoignages les plus surs et les plus pittoresques sur Casablanca à cette époque se trouvent dans les deux livres du Dr. Weisgerber, « Casablanca et les Chaouia en 1900 » et « Au seuil du Maroc Moderne ». Il faut les lire pour mesurer le chemin parcouru en moins d'un demi-siècle, et les détracteurs de l'œuvre française rencontreraient aussi matière à réflexion dans d'autres documents qui relatent le sac et l'incendie de Dar Beida au mois d’août 1907. Il suffit d'écouter ce que dit l'Histoire pour comprendre et pour conclure.



Moulay Youssef et Lyautey visitant les Quais.                                                                 Photo Flandrin.


Moulay Youssef à Casablanca
..              Photo Archives du Protectorat.


La décision de Lyautey fut vite prise : il conserverait le Maroc à la France.

Le 4 aout 1914, il fit afficher une proclamation qui commençait ainsi :

                        « A la population de Casablanca »,

                        « Le Résident Général, commandant en chef, a tenu, après avoir pris à Rabat les premières mesures inspirées par les circonstances à venir à Casablanca pour s'y mettre en communication d'esprit et de cœur avec la vaillante population dont il ne saurait trop louer l'attitude, le calme et le patriotisme. Il compte fermement qu'elle ne s'en départira pas, qu'elle continuera, dans la discipline et dans l'ordre, à lui faciliter sa tâche... »

 

En même temps qu'il envoyait en France toutes les troupes dont il pouvait disposer, Lyautey poursuivit le développement de son œuvre. Il inaugura à Casablanca au mois d'octobre 1914 les grands magasins « Paris-Maroc », et au printemps 1915, une exposition d'horticulture. Au mois de septembre de la même année, toujours à Casablanca, eut lieu une « Exposition des produits d'importation et d'exportation ».

La ville peu à peu s'agrandissait. Au milieu des terrains vagues, situés au sud et à l'est de la Médina, des rues se traçaient et des immeubles s'édifiaient. Des routes aussi reliaient de plus en plus nombreuses la ville et le port naissant au reste du pays. Rabat n'était plus qu'à deux heures de Casablanca.

 

L'armistice et la victoire donnèrent raison à Lyautey. En 1919 le mouvement des marchandises à Casablanca était de 800.000 tonnes contre 130.000 en 1911. Le port que les techniciens avaient jugé d'abord d'une construction impossible, puis d'une importance exagérée, se révéla indispensable, puis trop petit lorsqu'on eut découvert en 1921 le gisement des phosphates de Khouribga.

Au mois d'avril 1925, Lyautey invita quelques amis de France à l'inauguration d'un chemin de fer à voie normale, de Casablanca à Rabat. Il leur montra Casablanca, et il leur parla de ses projets, car partout les chantiers emmaillotaient la cité nouvelle.




Photo Verdy.
Cette Photo montre la Place Lyautey avec au dernier plan à gauche, Le Palais de Justice, l’imposante façade des Services Municipaux, l’Hôtel de La Division entre les deux Bâtisses. Cette vue est du haut du garage Polizzi.

« Tout ça, dit le maréchal, c'était des camps... 
Ici... (D’un saut il bondit sur le socle d'un monument), ici, je voulais faire quelque chose comme le jardin du Palais-Royal. Vous voyez ça ? Une place fleurie, encadrée de longs bâtiments symétriques... C'est très beau, le Palais Royal... Seulement, quand j'ai été malade, très malade, absent deux ans, ils m'ont tout abîmé... Je me suis mis en colère, une colère terrible... Seulement, que voulez-vous ? C'était fait... Moi, j'accepte toujours l'irréparable... Je m'arrangerai. Nous rattraperons la symétrie de la place... Là, nous auront la mairie ».

André Maurois qui raconte la scène dans son « Lyautey » nous montre ensuite le Résident entraînant ses hôtes au port, dont l'ingénieur en chef Delure leur explique le plan. Puis Lyautey reprit la parole :




« Très bien... Maintenant, moi, je vais vous expliquer la philosophie de la chose... Quand j'ai commencé ce port, tout le monde a dit : « Lyautey voit trop grand. Il est fou... » Mais ça m'était égal. Je pensais : « Ce pays-ci est un grand pays... Les besoins viendront : il faut que je sois prêt. » Bon... Vous savez qu'on a découvert tout près d'ici, à Khouribga, des gisements de phosphates qui sont les premiers du monde. Cette année, nous produirons six cent mille tonnes ; l'an prochain, nous atteindrons le million. Or, ces phosphates, à eux seuls, justifieraient l'importance du port... Voilà. Vous me direz : « Et s'il n'y avait pas eu les phosphates ? » Oui, mais ma 
réponse, c'est qu'il y a toujours les phosphates. Quand on fait quelque chose, il faut avoir confiance dans ce qu'on fait, »

 

Cette dernière phrase semble avoir été prise comme devise non seulement par Lyautey mais encore par la plupart des Français qui participèrent à son œuvre et qui le continuent, en particulier à Casablanca.

La grande place ou Lyautey voyait la mairie est maintenant terminée, ou presque. On n'attend plus que la construction, sur le terre-plein situé en face des Services Municipaux, d'un immeuble qui abriterait à la fois une salle de conférences et une bibliothèque publique.

La statue de Lyautey, qui regarde le monument de la Victoire, domine aussi les manifestations patriotiques qui se déroulent sur la vaste place. Autour du maréchal de bronze, s'étend une ville de plus en plus grande, de plus en plus active et prospère. Pour bien la voir, il faut monter au sommet de la tour qui sert de beffroi. A perte de vue, dans toutes les directions, la ville s'étend verte et blanche. Le spectacle est si grandiose que le Casablancais le plus chevronné hésite, et ne reconnait pas la cité qu'il croyait lui être si familière. Ceux qui dénigrent Casablanca, devraient monter à ce belvédère. Ils comprendraient la grandeur de cette création, et ils admireraient, eux aussi.




Les services Municipaux Vue de sous les arcades du Palais de Justice.                      Photo Verdy.





Photo Chelle
Il serait impossible de placer une légende sous cette photographie à moins d'être un vieux marocain et d'avoir participé au meeting d'aviation qui eut lieu à cet endroit, c'est-à-dire sur les terrains du quartier racine, dans lequel il faut voir un des ancêtres de l'aérodrome moderne du camp Cazes.

Que leurs regards se posent d'abord, aux pieds de la tour municipale, sur la petite baraque de planches qui servit de poste de commandement au général Drude, et qu'ils se portent ensuite du sud au nord, de l'est à l'ouest sur les rues animées et sur les maisons blanches qui forment autour de l'humble commencement une couronne gigantesque, et toujours amplifiée.



Photo Chelle.
Nous sommes en 1912. Le visage moderne de Casablanca commencé à se modeler. C'est pourquoi l'on construit les magasins du même nom, tout près de la place de France. On voit l'immeuble encore emmailloté d'échafaudages, et au loin, la Tour de l'Horloge. Au premier plan, la foule marocaine, avec ses flâneurs, son pittoresque et ses marchands de pain.

Sur le développement futur de Casablanca, le plan Courtois, il y a quatre ans, a jeté quelques vives lueurs. Il est malaisé de juger cette conception, dont on sait surtout que sa réalisation serait fort coûteuse. Elle entraînerait d'abord des démolitions qui aggraveraient l'actuelle crise des logements dans des conditions telles qu'elles constituent un obstacle quasi-infranchissable.

Mais depuis que ce plan a été conçu, et, semble-t-il, enterré, des faits nouveaux donnent des indications sur le visage que prend Casablanca. Le centre des affaires se déplace lentement de la place de France vers la place Nicolas Paquet.

   


Le boulevard de la Gare qui n'était animé qu'entre le Marche Central et la place de France, devient une grande artère sur plus de la moitié de son parcours (et tous les voyageurs qui étaient obligés pendant la guerre d'aller à la gare à pied, savent quelle est sa longueur !). La gare elle-même se rapproche de la ville, et la gare des C.F.M. installée au port est aussi une heureuse innovation. Par contre la gare de la C.T.M. sera déplacée, et ses bâtiments actuels démolis, ainsi que l'ancien immeuble de la Banque d'Etat.




Photo Chelle.
L'attente du courrier... Les vieux marocains se souviennent de l'impatience avec laquelle les nouvelles de France étaient accueillies. Les nouvelles, et les marchandises de toutes sortes qui permettaient à une équipe de pionniers de modeler le visage moderne de Casablanca. Les canotiers' et les cols cassés de ces pionniers sont démodés, mais leur foi et leur Energie restent pour nous des exemples à méditer.


On sait que la construction d'un grand hôtel de tourisme près du port a été commencée : Casablanca, jusqu'à présent, offrait aux voyageurs de bons hôtels trop peu nombreux. Un jour prochain, la ville offrira aussi à ses habitants un musée accessible, une bibliothèque installée dans un immeuble à l'abri de l'incendie, une salle de concerts et de conférences, et qui sait, peut-être si les Dieux nous comblent, un vrai théâtre.

En ce qui concerne la population musulmane ; de plus en plus importante, il faut noter, comme une création digne de l'esprit lyauteyen, la construction de la cité d'Aïn Chok, qui sera peuplée de 150 à 200.000 habitants, aux portes de Casablanca, sur un emplacement d'une remarquable salubrité. De tous côtés s'épanouit la ville dont Lyautey a voulu doter le Maroc. L'efficace et prodigieux développement de Casablanca récompense les efforts de ses créateurs et les justifie au-delà de toutes les espérances.



                                                                                                                                        Photo Chelle.
Les barcasses peuplent le port de Casablanca ou s'affairent déjà les constructeurs. Mais les navires sont obligés de rester au large, et leur nombre donne une idée de l'ardeur avec laquelle on travaille dans ce port qui n'existe encore que sur plans.





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