mercredi 26 septembre 2018

C.I.L. Comité Interprofessionnel du Logement au Maroc.








C.I.L.



Mai 1952 - ouverture des premiers chantiers du nouveau lotissement « C.I.L. » d'Anfa-Beauséjour.       Photo Sixta.

.NAISSANCE ET RÉALISATIONS DU COMITÉ INTERPROFESSIONNEL DU LOGEMENT AU MAROC

Octobre 1953 - un an et demi après !... La photographie panoramique se passe de commentaires. On reconnaîtra la première villa commencée qui sert de point de comparaison.                                                                                                                                                                                            Photo Rouget


Les gens de bons sens l'éprouvent le gout excessif de notre époque pour les signes et abréviations qui, la plupart du temps, finissent par ne plus répondre, dans l'esprit du public, à une signification précise connue seulement de quelques initiés. Pourtant, il n'est personne au Maroc et à Casablanca en particulier pour ne pas savoir ce que représente le C.I.L. car ces trois initiales, qui forment un mot, correspondent à une notion dont il est aisé de mesurer les effets concrets autour de soi.
Le Comité Interprofessionnel du Logement au Maroc a été inspiré par son homologue de la Métropole.
Un entrepreneur casablancais, M. Léon Dubois, président de la Chambre Syndicale des Entrepreneurs français, prit l'initiative de sa création parce qu'il avait foi dans les destinées de ce pays et qu'il estimait qu'un grand effort devait être fait le plus rapidement possible, sur le plan social, pour assurer un logement décent à la population laborieuse à laquelle la cité doit une part non négligeable de son remarquable essor. M. Léon Dubois réussit il faire partager sa conviction à quelques-unes des personnalités les plus représentatives de la ville, qui décidèrent de constituer une association ouverte à tous ceux qui s'intéressaient à l'importante question de l'habitat.
                Le Comité Interprofessionnel du Logement au Maroc avait pour objet :
                - de grouper les personnes civiles ou morales s'intéressant au problème du logement au Maroc ;
                - d'établir entre elles l'unité de vue et d'action nécessaire pour mener à bien leurs projets ;
                - de mettre en œuvre tous moyens appropriés pour remédier à la crise du logement :
- d'étudier pour ses adhérents et de leur faire parvenir toute documentation sur l'évolution technique en matière de construction. Le cas échéant de rechercher toutes acquisitions de terrains, et de faire, pour leur compte, toutes Etudes de constructions, de faire exécuter, gérer ou administrer, s'il y a lieu, toute habitation d’essai ;
- enfin, sur leur demande, de faire entreprendre et réaliser ou simplement de surveiller, pour le compte de ses adhérents, tous programmes de construction qu'ils jugeraient nécessaires.



Le premier acte de cette association, vite reconnue d'utilité publique et dont les promoteurs s'interdisaient toute arrière-pensée lucrative, fut de procéder à une enquête avec l'appui de la presse du Maroc. A cette fin, un questionnaire fut publié dans les principaux journaux, questionnaire- auquel étaient invités à répondre les mal-lotis (et Dieu sait combien ils étaient nombreux) en apportant toutes précisions utiles sur leurs aspirations en matière de logement ainsi que sur les moyens matériels dont ils pourraient éventuellement disposer dans l'immédiat.
Jusqu'ici, le problème de l'habitat avait été évoqué beaucoup plus sur le plan théorique que dans le domaine des réalités et personne n'osait se risquer à proposer les solutions révolutionnaires imposées par la situation.'
Ainsi, une vague de scepticisme accueillit-elle l'initiative du C.I.L.M. encore que d'assez nombreuses réponses parvinrent à ses dirigeants oui purent en dégager les données moyennes. Mais les abstentionnistes avaient été les plus nombreux en croyant sage d'attendre et de voir venir. Il ne fallut pas longtemps pour les convaincre qu'ils avaient eu tort car le C.I.L.M. démontra rapidement qu'il était décidé à aller vite en besogne et aussi loin qu'il était possible, eu égard aux conditions du moment et aux résistances qu'il y avait à vaincre.
Et c'est cette belle histoire de la naissance quasi-spontanée d'un quartier et d'une véritable ville-satellite champignon que nous allons nous efforcer de conter à l'aide de quelques dates et de quelques chiffres évocateurs.



En préface à la constitution officielle du Comité Interprofessionnel du Logement, s'étaient tenues à Casablanca, les 23, 25 et 26 octobre 1950 sous la présidence d'honneur du Résident Général, les journées de l'habitat dont le rapport général fut présenté par M. Lambert-Ribot. Maître de requêtes honoraire au Conseil d'Etat, président du C.N.A H., venu spécialement de France nanti d'une précieuse expérience.
« D'une façon générale, y disait-il partout on a compris que l'attribution à chaque ménage d'un logement sain doit représenter une garantie contre l'aventure et constitue le meilleur placement au point de vue social et national ».
« Le Maroc, pays neuf et en plein essor, ne peut pas manquer de suivre une politique identique... ».

Le rapport général de M. Lambert-Ribot avait été précédé par les allocutions d'ouverture de :
MM. Dubois, en sa qualité de président du C.I.L.M.,
Marill, président de la Chambre de Commerce, et d'Industrie de Casablanca,
Girard, directeur des Travaux Publics au Maroc, dont la présence attestait l'intérêt que les administrations techniques apportaient à cette importante manifestation.
Pour mieux matérialiser l'appui des services résidentiels, le Secrétaire Général du Protectorat tint lui-même à en dégager les conclusions et il ne manqua pas d'affirmer qu' « une des premières préoccupations du Secrétaire Général du Protectorat est « de rechercher les moyens pratiques et techniques de résoudre «cet immense problème de l'habitat... » car « ...on ne saurait « concevoir que ce pays puisse trouver l'équilibre moral et social « des populations diverses qui le composent si l'on tolérait que « règne l’angoisse de la recherche d'un toit et de l'abri indispensable « .
L'illustration des journées de l'Habitat fut constituée par une exposition de plans et de maquettes dans les locaux de la Chambre de Commerce et par la visite officielle de 2 maisons expérimentales dont le C.I.L.M. avait posé la première pierre le 26 septembre précédent.

La « Cité des Jeunes » d'Anfa-Beauséjour forme :
Un vaste ensemble dont les premiers chantiers s'ouvrirent en mai 1952. Composée de 3 immeubles représentant 86 logements identiques, les plans en ont été particulièrement étudies. La surface intérieure de chaque logement (terrasse et buanderie déduites) est de 50 m2, et comprend une entrée desservant les pièces, une cuisine, toilette, living-Room de 24 m2 avec coin de repos, une chambre de 9 m2 et une terrasse de 5 m2. Avec les murs, balcon, terrasse et buanderie, la surface totale employée est de 78 m2. La construction est en béton, insonorisation transversale. Les cloisons sont montées sur socle de béton de liège.
Ont participé, parmi les entreprises, à la construction de ces immeubles, pour :
Les volets roulants : ARENA,
L’électricité : Forcelec,
La peinture : Halioua,
Les agglomérés et éléments préfabriqués : STIC.



La théorie du problème de l'habitat ayant été parfaitement définie par la compétence de nombreux techniciens groupes en différentes commissions, il fallait la faire entrer dans les faits et M. Dubois lança son appel en ces termes :
 « Messieurs, nous convions toutes les bonnes volontés, sans aucune restriction, à nous suivre dans la tâche gigantesque que nous allons nous efforcer d'entreprendre...il s'agit véritablement du problème social n° 1...
Les quelques journées consacrées à l'étude de ce problème permettent beaucoup mieux qu'une vague lueur d’espoir aux hommes qui attendent de nos efforts une vie plus heureuse dans l'ambiance d'un foyer plus harmonieux qui sera le leur « .
Cet appel, qui suscita tant d'espoirs, n'allait pas rester lettre morte. En effet, il en résulta, en décembre 1950, la constitution de la société anonyme des « Cités C.I.L. » ., au capital de 5.000.000 de francs, en vue de :
« Favoriser la construction de locaux à usage d'habitation à loyer modéré, avec le concours de l'Etat, des Municipalités, du Patronat et des intéressés eux-mêmes ».
Grace il l'appui officiel qui lui fut immédiatement accordé et aux souscriptions des plus importantes sociétés de la place, la société, conformément à ses statuts, se rendit acquéreur, le 1er septembre 1951, dans des conditions particulièrement avantageuses, d'un terrain situé à Aïn-Sebaa et dont la superficie ne couvrait pas moins de 52.000 mètres carrés. Ce terrain fut divisé en 75 lots à villas d'une superficie de 450 mètres carrés .et il était également prévu 4 lots il immeubles. L'équipement et la viabilité en étaient immédiatement entrepris et les premiers chantiers ne tardèrent pas à s'ouvrir, si bien qu'au 31 décembre 1952, soit un peu plus d'un an plus tard, 45 villas étaient en voie d'achèvement - les trois-quarts d’entre-elles étant habitées et le premier immeuble était livré à ses occupants. L'Etat avait apporté, pour sa part, une aide efficace à la société en lui consentant, à un taux très réduit, des avances à long terme et la Municipalité se chargea des travaux de viabilité. Cette double forme d'aide réduisit considérablement les charges des sociétaires qui voyaient enfin se réaliser le rêve merveilleux d'un logement personnel confortable.
Ce premier lotissement, baptisé « lotissement Germaine », a permis le recasement définitif, en un temps véritablement record de 650 personnes.

Forts de cette première réussite, les animateurs du C.I.L.M. s'enhardirent à voir plus grand. Usant de ruses de sioux pour déjouer les visées de la spéculation qui cherchait à s'immiscer sournoisement dans les opérations prévues, M. Dubois réussit un coup de maître qui consista à acheter, pour le compte de la société, un terrain de 320.000 mètres carrés d'un seul tenant au pied de la colline d'Anfa, dans une zone climatique favorable puisqu'elle est naturellement protégée des brouillards marins.
Le nouveau lotissement " C.I.L. - 1 " fut divisé en 371 lots de 350 à 600 mètres carrés, tandis que 11 lots étaient destinés à la construction d'immeubles de 5 étages. En outre, et pour répondre à une initiative de M. Gouin, industriel casablancais une formule spéciale fut mise spécialement au point sous la dénomination de " Cité des Jeunes" dont le développement était prévu sur 23.000 mètres carrés.

Ce vaste ensemble dont la création avait été lancée en janvier 1952, vit s'ouvrir ses premiers chantiers en mai 1952 et c'est ainsi que d'un terrain absolument nu, l'action décisive du C.I.L.M. fit surgir une ville-satellite où s'épanouit aujourd'hui une population euphorique.
Pour mesurer d'un seul coup d'œil l'étendue de cet effort, qui a surpris les Américains eux-mêmes, il suffit de se reporter aux deux photos qui illustrent cette étude et qui, prises exactement sous le même angle et du même emplacement (ainsi qu’il est aisé de s'en rendre compte par quelques repères), nous montre l'étonnante transformation, a dix-huit mois d'intervalle, de ce paysage urbain ou les statistiques révèlent que se fixeront plus de 4.500 habitants. Actuellement, 280 villas et 3 immeubles sont achevés.

D'autre part, pour répondre aux besoins de cette population, une zone commerciale comprenant notamment un marché d'une trentaine de stalles en dur (qui seront exploitées sous le contrôle municipal), une quarantaine de magasins de conception moderne, un cinéma, une brasserie-restaurant, etc.… est en cours d'édification. En outre, le rez-de-chaussée de deux des immeubles de la partie Nord seront réservés au commerce. Enfin, il est bien entendu que la cité disposera de son école.


Photo aérienne Flandrin.
(Extraits d'un article, paru sur l'album du Rotary-Club de. Casablanca, par Edouard Gouin, Vice-Président du Comité Central des Industriels).
1953, la ville satellite d'Anfa-Beauséjour et la cité des jeunes sont le témoignage des déclarations de M. Edouard Gouin.
« Du côté européen, l'année 1950 a été marquée par la création, à l'exemple de la Métropole, du Comité patronal interprofessionnel du logement (C.I.L.). Dans ce cadre, différentes initiatives patronales dont la plus notable est la « Cite des Jeunes » vont assurer un logement confortable et bon marché à près de 300 jeunes ménages et célibataires.
« Parce qu'aride, comme l'est tout bilan sincère, l'œuvre sociale accomplie par le Patronat français du Maroc n'est pas un mythe. Elle est considérable et qui plus est méritoire si l'on songe qu'elle a débuté « motu-proprio » en absence de toute législation sociale, et qu'elle s'est poursuivie malgré des résistances, des réticences et des incompréhensions inévitables.
« Aussi positif que soit son bilan, il ne saurait cependant constituer une fin en soi, car l'évolution constante de la technique et de l'économie donnent inévitablement naissance en l'ordre social à des problèmes auxquels de nouvelles solutions doivent sans cesse être proposées.
« Mais rien ne nous autorise à penser, bien au contraire, que les Industriels Français du Maroc ne sauront, alliant à leur dynamisme un profond désir de paix sociale, et une volonté tenace de progresser, rester Fidèles aux principes qui les ont guidés jusqu'ici. »


Les premières villas construites grâce au C.I.L. Furent édifiées à Ain Sbaâ.
Notre photographie représente les villas exécutées par les établissements RENAUDAT pour loger leur personnel.

Le gros-œuvre a été réalisé par la CEGA.



Pour compléter le programme qu'il s'est tracé, le C.I.L.M. a entrepris, la création d'un centre d'habitat marocain.
La Cité marocaine de Sidi-Othman prévoit la réalisation de 232 logements de 2 pièces et dépendances à rez-de-chaussée, 116 logements d'une pièce et dépendances à rez-de-chaussée et, 232 logements répartis dans des immeubles à étages. 8 boutiques seront, en outre, édifiées, pour être louées au profit de la société.
Afin de ne pas entraîner de charges trop lourdes pour les firmes intéressées, un système ingénieux de financement prévoit que les actions qui formeront le capital seront libérées à 50% de leur valeur par un versement immédiat, tandis que le complément en sera échelonné sur 5 ans. Mais il convient d'ajouter qu'a cette participation des actionnaires se conjugue un emprunt à long terme amortissable par les loyers, le montant de cet emprunt devant être au moins égal des actions afin de permettre la couverture intégrale des dépenses envisagées pour l'édification de la nouvelle cité.
D'ores et déjà, d'importantes sociétés, au nombre desquelles il faut citer la Compagnie Sucrière Marocaine (COSUMA), l'Auto-Hall, Astral Cellulo, etc.… se sont réservées d'importantes surfaces pour le logement de leur personnel marocain. La COSUMA, en particulier, y poursuivra son vaste programme d'habitat ouvrier qui compte déjà des réalisations remarquables dans les propres dépendances de ses usines.
Il faut souhaiter cependant que d'autres industriels suivent cet exemple et accordent une large adhésion à ce mouvement dont la portée sociale n'a guère besoin d'être soulignée.
Vue de la maquette de l'immeuble à étages constituant une expérience de l'adaptation aux conditions de la vie moderne des marocains. Cet immeuble sera élevé dans la cité Marocaine de SIDI-OTHMAN.

On voit suffisamment, par tout ce qui précède, que le C.I.L.M. a parfaitement répondu à son objet. De tels résultats, qui suscitent l'enthousiasme, auraient dû normalement conduire à une extension de son programme. Or, il semble que l'action du C.I.L.M, soit actuellement freinée car il lui est devenu difficile de trouver, dans le périmètre urbain de Casablanca, des superficies suffisantes pour convenir à la création de nouvelles zones d'habitat.
L'œuvre du C.I.L.M., qui a su apporter les germes d'une vie intense à des secteurs jusqu'alors déserts, est trop nécessaire pour qu'on ne lui donne pas les moyens de poursuivre une œuvre dont les premiers résultats ont été si fulgurants, alors que le développement démographique de la cité tend régulièrement à s’accroître et fait surgir de mois en mois des besoins renouvelés.













lundi 16 juillet 2018

CASABLANCA des arbres et des fleurs.













Il y a quelques années seulement Casablanca n'avait pour plaire que son ciel bleu, son océan agité, ourlé d'écume, sa rade de velours peuplée de voiles et de paquebots, l'intensité de sa vie cosmopolite et déjà cependant elle retenait les hommes comme ces femmes, qui savent inspirer de grandes passions. 
Et pour faire de Casablanca une belle ville, pour tempérer l'éclat brûlant de ses murs trop blancs, corriger la rigidité de ses horizons, compléter et adoucir son charme naturel, il ne manquait à cette naissante cité qu'une pure parure : des arbres, des fleurs.

Sur ce sol apparemment aride, l'homme, le Français surtout, souffrant intensément du bannissement de l'arbre, a compris qu'il ne suffisait pas de créer autour de lui de la richesse, mais que l'existence ne serait vraiment bonne que si elle se déroulait dans un cadre de beautés naturelles.



Des locaux au Parc Lyautey.
Il n'a pas voulu que Casablanca, porte du Maroc, offre au touriste, à son débarquement, la désillusion d'une ville sans décor. Il a demandé des promenades pour ses enfants, de la verdure pour le repos de ses yeux, un peu de fraîcheur bienfaisante pour le délassement de son corps et de son esprit. Mais c'est à peine si la banlieue casablancaise, pauvre, nue, conserve quelques plantes vivaces : figuiers aux torsions fantaisistes, cactus aplatis, gras et épineux, aux formes étranges, aloès aigus, dentelés, rigides, palmiers nains, rabougris et poussiéreux, lentisques épineux et rébarbatifs. Cependant, dès les premières pluies d'automne, la terre se couvre avec une hâte merveilleuse d'un tapis herbacé multicolore : soucis jaune orange, iris bleus, narcisses blancs, scilles violets, glaïeuls rouges, etc.

Casablanca. Le Jardin Public.
En quelques jours, en quelques heures devrais-je dire, dans le bled vaste, monotone, fatigant, hostile, surgit un paysage gai, varié, doux et accueillant.
C'est sur ce sol tour à tour riche et ruiné, endormi un semestre par an sous la torpeur du soleil brûlant, transformé magiquement par la moindre ondée, que le Français, en qui chante toujours la poésie des grands jardins et des plaines verdoyantes de la patrie, voulut répandre la douceur de frondaisons d'Europe.
Le premier jardin public devait naître, en 1912 près du port. Il a, en quelques années, réalisé heureusement les espoirs de ses créateurs. Certes ce n'est pas un parc aux allées soigneusement ratissées, aux plates-bandes géométriques garnies de ces fleurs rares qui font la gloire des plus délicats adonistes.



Mais dans un désordre artistique le mimosa se pare d'or, le myoporum aux feuilles luisantes voisine avec l'olivier au teint mat, l'eucalyptus brandille au moindre souffle ses feuilles effilées, le bellombra capricieux étale ses branches tordues au-dessus des arums au col rigide, des géraniums multicolores, des leucanthemums immaculés, des strelitzias extravagants, de ces nombreuses fleurs, communes sous tous les cieux, qui n'ont rien des brillantes azalées ou des orgueilleuses orchidées mais dont les teintes rutilantes sous l'intensité de la lumière marocaine forment un ensemble élégant et gracieux.
Le succès est le meilleur stimulant. Cet îlot de verdure dont la superbe végétation s'étend sur un hectare fut le début d'une œuvre de longue haleine, activement poursuivie. 
Aujourd'hui les jardins et les parcs publics surgissent comme si la baguette même de Flore présidait à leur épanouissement.





C'est le square de la Subdivision où grandissent les ficus roxburgis aux larges feuilles caoutchoutées, aux racines aériennes, le palmier phœnix vigoureux et imposant, les massifs enchevêtrés de rosiers, d'altéas, de plumbagos, de dracaena aux feuilles en lame d'épée qui semblent des touffes de cheveux hérissés coiffant un tronc nu et rugueux.








Le Parc de La Subdivision.
C'est le jardin de Sidi Bou Smara discrètement caché dans la ville indigène, qui encercle le tombeau d'un marabout à qui les musulmanes soigneusement voilées viennent en files ininterrompues demander la santé pour leurs enfants.
C'est le parc Murdoch créé par un ami des arbres, acheté ensuite par la Municipalité, qui domine la Ville et dont les multiples aspects évoquent la fraîcheur, la grâce, la douceur, le calme des jardins paysagers de la France méridionale.
Casablanca.    Parc Murdoch. (Murdoch et Buttler étaient des hommes d'affaires anglais installés au Maroc début de siècle).

Le promeneur étonné y découvre à travers les palmiers qui bordent l'allée principale la pelouse verdoyante où de bruyants bambins jouent sur des monticules de sables, l'allée, couverte par le cyprès de Lambert, où des recoins discrets offrent au rêveur une exquise tranquillité, des pergolas magnifiques et parfumées garnies de rosiers grimpants rouges, roses, blancs, de solanums sarmenteux, de buddléias aux longs épis à l'odeur de miel.
Ici les cyprès et les ifs droits, élancés, en robe de deuil, se marient au robinier étalé et tortueux, rose ou blanc. Plus loin, les feuilles glauques de l'eucalyptus voisinent avec les aiguilles de l'araucaria à port pyramidal. Et sous leur ombre ou à leur côté, l'hibiscus précieux pour sa rusticité et la beauté de ses corolles rouges, le romarin buissonneux, le flexible genêt d'Espagne, le capricieux pois de senteur font assaut de couleurs et de parfums, noyés dans une abondante floraison de pétunias.


A courte distance le square Abbé de l’Épée, commencé en 1923 sur un terrain complètement nu, couvre deux hectares de ses frondaisons déjà épaisses et les minuscules rameaux confiés à la terre élèvent maintenant leurs tiges à plusieurs mètres vers le ciel. Blotti au pied de la colline de Mers-Sultan, au bas des Nouveaux Hôpitaux en construction, il offrira aux malades l'agrément de ses pelouses ornées de massifs verts et fleuris, de ses allées spacieuses aux courbes minutieusement étudiées, du contraste obtenu par un heureux mélange de feuillages diversement colorés. Parc de promenade et de repos où le souffle frais des brises embaumées calmera la fièvre des malades, où l'arbre en vivifiant l'atmosphère apportera à la science un concours invisible mais précieux.


Et voici le Grand Parc conçu par un urbaniste qui eut les honneurs du prix de Rome. Placé au centre de Casablanca, couvrant 12 hectares, il abrite un stade d'athlétisme richement encadré de géraniums aux couleurs vives, entouré et dominé par une promenade délicieusement ombragée sous la voûte de faux-poivriers à grappes de fruits rouges, aux feuilles finement découpées. Les tribunes se cachent sous une légère pergola construite avec les moellons d'une ancienne prison portugaise, vêtue de bougainvillées aux bractées violettes magnifiquement décoratives.



Casablanca. La Pergola au Stade Lyautey.
Sur toute l'étendue de cette immense plantation, en voie d'achèvement, de vastes parterres de fleurs aux couleurs vives, sertis d'un ruban de lantanas orange, jettent une note éblouissante dans la teinte sombre des ficus, palmiers, bananiers, bigaradiers ou grenadiers toujours verts...
A côté de cette flore africaine les arbres d'Europe, peupliers aux cimes élevées, bouleaux argentés, micocouliers gris, forment des massifs d'essences à feuilles caduques entrecoupées de tamaris, pittospores, brachychitons, mélange agréable de plantes des deux continents, toutes débordantes de sève vigoureuse, d'un développement extraordinairement rapide.

Sur toute l'étendue de cette immense plantation, en voie d'achèvement, de vastes parterres de fleurs aux couleurs vives, sertis d'un ruban de lantanas orange, jettent une note éblouissante dans la teinte sombre des ficus, palmiers, bananiers, bigaradiers ou grenadiers toujours verts...

A côté de cette flore africaine les arbres d'Europe, peupliers aux cimes élevées, bouleaux argentés, micocouliers gris, forment des massifs d'essences à feuilles caduques entrecoupées de tamaris, pittospores, brachychitons, mélange agréable de plantes des deux continents, toutes débordantes de sève vigoureuse, d'un développement extraordinairement rapide.




L'effort administratif ne s'est pas seulement manifesté par la création de parcs publics où plus de 40000 arbres ou arbustes sont actuellement en pleine végétation. Un boisement forestier de 23 hectares a été achevé récemment dans le périmètre même de la ville, à une lieue du centre. Vingt kilomètres de rues ou de boulevards se parent de palmiers, acacias, schinus, parkinsonias, pruniers pissardi, sophoras, peupliers, eucalyptus ou bellombras.




Casablanca. Jardin public de la subdivision.

L'initiative privée complète heureusement ce mouvement en faveur de l'arbre. La Société d'Horticulture aménage aux portes de la Ville un immense jardin vallonné, avec d'agrestes massifs boisés, des pelouses multicolores, des pièces d'eau artificielles et, en toute saison, une floraison abondante et variée, véritable architecture où l'harmonie des couleurs le dispute au charme des parfums.
Les villas se dissimulent peu à peu sous une profusion de plantes grimpantes débordant les pergolas et les murs et, dans les jardins particuliers, les plus avisés propriétaires renouent et continuent sur la terre marocaine l'agréable tradition des jardins à la française.

Casablanca. L'Hotel de Ville et Les jardins de La Subdivision.


Casablanca n'est donc plus une ville blanche, il suffira maintenant de quelques années d'efforts pour noyer la cité dans une féerie de couleurs, la couvrir de ces jardins merveilleux que les légendes placent dans le voisinage de l'Atlas et qu'évoquent encore les conteurs arabes sur les places publiques.






samedi 17 mars 2018

1925. Safi. L'histoire évolutive de sa Poterie.













  1925. Safi. L'histoire évolutive de sa Poterie.









La ville de Safi a inscrit dans le programme des curiosités à montrer aux touristes ses ateliers de poterie. Ceux-ci ont une histoire qu'il n'est pas sans intérêt de connaître, puisque nous devons tous nous attacher à étudier de notre m'eux le passé, dans lequel, hélas les points nébuleux restent encore nombreux.
La fabrication de la poterie à Safi est réputée ancienne, c'est-à-dire que d'après les renseignements oraux qu'il a été possible de se procurer, elle remonterait à 150 ans. 
A cette époque il existait deux corporations, la principale se trouvant au R'bat et utilisant la carrière de glaise sur laquelle est aujourd'hui construite l'infirmerie indigène. Son dernier four a disparu en 1920, en raison de l'extension prise par la ville.
La deuxième corporation a eu plus de chance. Grâce à l'intervention du Service des Beaux-Arts qui a fait classer, en 1920 le quartier des Potiers comme monument historique, elle a pu rester sur son emplacement originel. Il était d'ailleurs grand temps que le dahir protecteur intervînt : déjà des Européens avaient entamé des pourparlers pour acheter les ateliers de poterie et édifier à leur place, des habitations. Ainsi la disparition de l'art céramique à Safi eût-elle été consommée !
A la tête de chaque corporation se trouvait un Amin, selon l'usage établi au Maroc. Un des plus avantageusement connus a été Hadj Mohamed Leghmaz qui vivait il y a 140 ans environ. Sa réputation s'étendait jusqu'au Sous d'où les Chleuhs lui apportaient du minerai de plomb qu'il utilisait pour la fabrication de l'émail. Ils retournaient chez eux en emportant des poteries de Safi.
Il faut dire qu'à cette époque, on fabriquait surtout des poteries non émaillées. Cependant quelques potiers et Hadj Mohamed Leghmaz était du nombre, livraient des pièces émaillées de teinte unie : jaune, verte, bleue ou blanche. Quelquefois même la fantaisie leur prenait de faire des poteries, dites El Farouzi, qui étaient de deux couleurs différentes réparties sur chaque moitié de la pièce.
Cette fantaisie constituait l’art moderne du temps. Les zelliges, dont l'industrie était alors prospère, servaient d'émail. C'est cet Amin qui, le premier, fit venir un céramiste de Fès. L'histoire a d'ailleurs conservé le nom de ce mâallem qui s'appelait Hadj Abdeslam Lengassi. On peut encore juger de son habileté par deux pièces conservées par la famille Leghmazen souvenir de son aïeul. Ce furent les premières poteries décorées qui furent faites à Safi.
La légende rapporte que le mâallem ne fit pas ses affaires et dut retourner à Fès. On dit qu'un jour il calcina de l'argent au lieu de plomb, parce qu'il en manquait, et que son émail ainsi préparé lui étant revenu trop cher, il perdit beaucoup d'argent sur cette fournée. Quoi qu'il en soit, d'autres mâallemin vinrent de Fès à sa suite notamment Megzari, Aïssaoui et Sellam Bakour qui, tous trois, entrèrent en association et produisirent de grandes quantités de poteries décorées semblables à celles qu'on fabriquait alors à Fès. On les vendait beaucoup dans le Sud marocain.
Ces trois mâallemin firent souche dans le pays et formèrent des apprentis. D’ailleurs à eux vinrent se joindre bientôt d'autres ouvriers réputés qui s'appelaient Abd el Ouahad, Abbés Megzari, Kaddour Lioussi et Hadj Abdeslam. Leur activité fut sans égale et on dit aujourd'hui,que personne ne peut rendre autant de travail qu’eux dans le même laps de temps.
Avec ces ouvriers, la technique de Fès s'implanta naturellement à Safi ; aussi ne doit-on pas s'étonner si on retrouve dans d'anciennes poteries safiotes des formes, des couleurs, des décors identiques. L'imitation était d'autant plus obligée que les mâallemin fassis établis au R’bat ou dans le quartier des Potiers avaient conservé des relations suivies avec leurs familles.

Ces mâallemin formèrent à leur tour un certain nombre d'apprentis qui ne sont pas tous devenus des artisans si l'on en juge par l'un des survivants aujourd'hui chef de barcasse au port.
Néanmoins les traditions furent continuées, avec succès même, par deux ou trois potiers, Ould Ali qui partit à Taroudant, et surtout Ahmed M'dasmi qui fut digne de ses maîtres. Ce dernier fabriqua des pièces magnifiques qui lui valurent une grande renommée dans tout le Maroc méridional.
Malheureusement il perdit la pureté de son art en écoutant les conseils d'un consul espagnol fort .porté pour le style hispano-mauresque et qui lui commanda plusieurs pièces de ce genre. Il crut faire bien de continuer les modèles qu'on lui avait demandés, ne se rendant pas compte que les galbes compliqués, les anses énormes et découpées, les gargoulettes en forme de tonneaux n'avaient plus rien de marocain. L'originalité de l'art local était ainsi perdue.
Ce mâallem mourut en 1914, laissant deux élèves : Abdallah et Si Mohamed Souiri, qui ne surent pas réagir contre les dernières tendances de leur maître et qui n’ont produit que des œuvres mièvres dans lesquelles l'art et la technique fassis ont pour ainsi dire disparu uniformément, la couleur est bleue : les beaux polychromes d'antan n'existent plus.
Faute de relations avec Fès, ces mâallemin en sont réduits à faire venir du bleu d'Angleterre. Ils ignorent le marché de Fès sur lequel on trouve les oxydes de chrome et de manganèse qui viennent du Tafilelt. D'autre part, n'ayant plus de maîtres pour les guider, ces artisans médiocres se laissent inspirer par leur pauvre imagination. Si bien que dans le dernier état de choses, l’art de la céramique était en pleine décadence.
C'est à ce moment que M. De La Nézière, adjoint au directeur du Service des Beaux-Arts, créa un atelier de céramique à Rabat, dans le but de rénover cet art.

En 1918, passant par Paris, il demanda conseil à l'administrateur de la Manufacture Nationale de Sèvres qui lui indiqua un céramiste algérien, élève de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts d'Alger, dont l'utilisation serait excellente pour le but qu'il se proposait.


M. Lamali.
Dans ces conditions, M. Lamali entra au service des Beaux-Arts du Maroc et fut affecté à l'école de Safi où tout était à réformer, comme nous venons de le voir. Des anciennes corporations, il ne restait que deux potiers sans ressources qui travaillaient sans méthode, mais avec un esprit routinier des plus déconcertants. M. Lamali commença par ouvrir un cours d'apprentissage en août 1920. 
Le recrutement des élèves s'opéra difficilement. Je métier de potier étant peu en honneur chez les gens de Safi. On tourna la difficulté en ne parlant que d'une école de dessin et en demandant l'aide des Services Municipaux. Puis les élèves de l'Ecole française arabe vinrent à ce cours. 
Le mouvement était créé. Aujourd'hui ce sont les parents eux-mêmes qui viennent solliciter l'admission de leurs enfants à J'école d'apprentissage Il y a, en ce moment, une vingtaine d'élèves qui suivent les cours comme décorateurs ou comme céramistes. Les ateliers de poterie ont en outre pris une extension qui fait bien augure]de l'avenir. Sous la direction de M. Lamali, trente ouvriers et apprentis travaillent dans neuf ateliers de tournage et de décoration pour la poterie artistique, tandis qu'on fabrique dans d'autres ateliers des carreaux décorés, des zelliges du pays, des tuiles vernissées, etc., qui ont un grand succès à Casablanca et dans tout le Sud du Maroc.


C'est que la céramique de Safi a changé d'aspect. M. Lamali a combattu activement l'amollissement du goût des mâallemin en leur inculquant le sens des valeurs et notamment du blanc, lequel fait si joliment ressortir les lignes géométriques tant aimées des Marocains.
Le dessin moins chargé dorénavant a gagné en netteté ; les formes trop chargées ont été éliminés du studio de M. Lamali qui se préoccupe de faire des poteries d'art et non des pièces quelconques. Son but a parfaitement été compris en France et à l'étranger. 
Après les récompenses officielles aux Expositions, ce sont les commandes qui sont venues et aujourd'hui les poteries sont, tout comme les céréales, un article d'exportation de Safi. Il est à prévoir que, dans quelques années, le commerce des céramiques prendra là une très grande extension ; l'aide assurée de grands magasins de Paris et de clients d'Amérique, d'Angleterre et du Danemark est le meilleur garant de cette réussite. M. Lamali peut être fier de son œuvre et la ville de Safi doit se réjouir de posséder en ses murs un artiste tel que lui. 

Les reproductions que nous donnons ici de quelques spécimens de la poterie safiote suffisent à montrer l'élégance des formes actuellement en honneur, ainsi, que la diversité des modèles reproduits. Tandis que les artisans de jadis s'épuisaient à produire de petits objets, bibelots aux formes contournées et bizarres, l'art safiote s'attache aujourd'hui à fabriquer des vases d'un galbe très pur et des cruches au mouvement élégant. C'est une véritable et remarquable rénovation de l'art de la céramique.






mardi 6 mars 2018

HAFÇA. Femme de Lettres arabe






HAFÇA


FEMME DE LETTRES ARABE


Née à Grenade | Morte à Marrakech | 586 de l'Hégire ; 1187 de l'ère chrétienne.







Il fut un temps Oullada, Hamda, Hafça

Que de sourires se dessineront sur nos lèvres ! 
Quoi ! Des femmes de lettres pourraient-elles se rencontrer parmi-ces formes humaines couvertes d'une draperie blanche d'où deux yeux noirs de Kohol et parfois pleins de malice, se laissent seuls voir, comme à Fez ou à Marrakech, ou moins que cela, une seule prunelle, comme à Rabat ? Non, hélas ! la grande majorité de ces marocaines sont illettrées Leurs époux et seigneurs, sous couleur d'assurer leur saint et de soutenir leur faiblesse, leur ont fait renoncer à toute liberté. Elles vivent, maintenant, dans une claustration plus ou moins complète, ayant pour seules ambitions, celles d'avoir un intérieur le plus luxueux possible, d'être couvertes de lourds bijoux et d'être les seules à régner sur le cœur de leurs maîtres. Il fut un temps, cependant où les Arabes jouissaient d'une civilisation très avancée.
Aux huitième et neuvième siècle de l'ère chrétienne, elle était déjà des plus brillantes. S'étant mis à l'école des Grecs, les Arabes s'étaient si bien assimilé les connaissances de leurs maîtres, qu'ils continuaient les œuvres de leurs devanciers et leurs productions s’étaient frappées du sceau de leur originalité.
Médecine, mathématiques, astronomie, sciences, (physiques et-naturelles), histoire, géographie, philosophie, œuvres poétiques et de prose... florissaient !
Même essor dans les arts et l'industrie. Point n'est besoin de s'étendre sur ce sujet, le lecteur le moins averti n'est pas sans connaître l'importance de cette civilisation.
A cette époque, la femme arabe recevait une éducation des plus soignées. On lui enseignait aussi bien la littérature que les sciences, la médecine que la musique. De plus, les femmes tenaient, pour ainsi dire, salon. Les savants, les poètes et les fins causeurs avaient accès chez elles et la conversation enjouée ou sérieuse allait son train. 
Si l'Orient peut se vanter d'avoir eu la savante Chohda ou la fine Zobeïda, la femme de Haroun Er-Rachid, l'Occident, c'est-à-dire l'Andalousie, peut mettre en avant les noms de Oullada, Hamda, Hafça... Cette émancipation de la femme n'alla pas sans quelque relâchement dans les mœurs. « Oullada était, dit Ibn-Bassam, la première femme de son temps.
Son allure libre, son dédain des voiles témoignaient de sa nature ardente. C’était d'ailleurs le meilleur moyen de montrer des qualités intérieures, et plastiques remarquables, la douceur de son visage et de son caractère.
Sa maison à Cordoue, était le lieu de réunion de tous les gens bien nés de la capitale. Son salon était le champ clos où luttaient poètes et prosateurs. Les lettres se dirigeaient vers la lumière de cette nouvelle lune brillante comme vers le phare de la nui... » (Cour. Ibn Zaïdoun.)
Cette Oullada, qui répondait à des poèmes par des poèmes, était princesse.
A la mort du Calife Omeyade Mohammed el Mostakfi, son père, elle délaissa le gynécée et vécut à sa guise, ouvrant la porte de sa maison à la meilleure société de Cordoue. Elle illustra bien des passions, et l'amour qu'elle fit naître dans le cœur d'Ibn Zaïdoun a fait écrire à ce poète des vers qui sont une des plus belles parures de la littérature arabe d'Espagne.
Quoique les sultans du. Maroc aient été amenés à différentes reprises à gouverner l'Andalousie et que tous les personnages célèbres dans un pays, ont eu leur réputation légalement établie dans l'antre, en voici une des femmes de lettres arabes de l'Andalousie, celle qui est venue finir sa vie à Marrakech ; en l'année 586 de l’Hégire ; (1187 de l'ère chrétienne).


Voici sa biographie telle que la donne le grand écrivain Andalou Ibn el Khatib.
« Hafça, Bent el Hadj Rakouni, originaire de Grenade ; était la perle de son époque, par sa beauté, sa grâce et son esprit railleur. Elle était nourrie de lettres, fort intelligente, avait la répartie spirituelle, et une improvisation facile dans la poésie.
Le vizir Abou Bakr ben Yahya rapporte à son sujet, ce qui suit :
« Ma sœur voulut faire une visite à Hafça pour lui demander un autographe, et notre poétesse lui écrivit ce distique «:

« O reine de beauté ou plutôt reine de bonté,
« Que tes yeux ne soient pas sévères pour ce qu'a tracé ma plume !
« Examine le d'un regard d'amie bienveillante.
« Ne fais pas attention à la médiocrité de mon écriture et de mon style ».

Un certain auteur du nom d’Abou el Hassan ben Saïd nous conte que ledit vizir était dans ses bonnes grâces de Hafça et qu'une forte sympathie les inclinait l'un pour l'autre.
A Houz-el-Moum ‘mil, dans un jardin, Abou Bakr et son amie passent la nuit comme savent le faire les gens d'esprit et de lettre-. Il lui déclame ces vers :

« Donc Dieu perpétue le souvenir de cette nuit.
« Il n’aura pas éternisé le souvenir d'un temps blâmable
« Qui nous déroba à tous les regards, à Houz-el-mou ‘mil.
« Du côté de la colline, arrivaient des senteurs,
« Et la brise, en soufflant, apportait le parfum des œillets.
« Un tourtereau chanta dans le grand arbre
« Et un rameau de myrte plia au-dessus du ruisseau.
« Le jardin a paru tout joyeux de ce qui s'y passait :
« Accolades, embrassements et baisers humides qui allaient suivre ».

Elle lui répondit par ceux-ci :

«. Par ta vie, le parc n'eut pas de joie à notre union,
« Mais il manifesta comme une haine secrète et de la jalousie.
« La rivière ne murmura pas pour applaudir
« À notre rapprochement et le tourtereau ne roucoula que par suite de sa triste.
« N'aie donc pas bonne opinion (de tout) tu mérites
« Cependant que tout soit comme tu t'en fais l'idée
« Car cette opinion n'est pas en toutes occasions, conforme à la vérité.
« Il m'a semblé que le ciel ne s'est allumé d'étoiles que, pour qu'elles nous épiassent.
« Qu'elle est jolie cette lettre rimée.
 Ajoute l'auteur qu'elle lui adressa lorsqu'elle sut que son ami, épris d'une esclave noire qui-lui fut amenée d'un certain Ksar, consacrait à cette dernière des nuits et des jours dans les environs de. Grenade, sous de grands ombrages, dans les plaisirs de l'amour, tantôt longs, tantôt courts !

« Ô le plus fin des hommes, avant d'être dans un état
« Dans lequel le sort l'a jeté.
« Tu aimes donc une négresse d'un teint aussi sombre que la nuit.
« Tout ce qu'a de merveilleux la beauté est voilé.
« La gaieté ne peut apparaître sur ses traits ténébreux,
« Mais non, plus la pudeur n'y peut être remarquée.
« Par Dieu, dis-moi
« N'es-tu pas le plus averti de ceux qui ont parcouru les rives des cours d'eau.
« Qui ne s’est jamais promené dans un jardin où il n'y avait
« Ni fleurs blanches, ni fleurs aux couleurs éclatantes.
Il lui répondit s'accusant le plus galamment, et usant de toutes les finesses de la rhétorique.
« Il n'y a pas eu d'autre arrêt qu'un ordre que s'abstint
« De transgresser celui dont la faute est pardonnable.
« Qui l'a prononcé à un visage dont dépend ma vie ;
« J’en abriterai le contour par des remparts.
« Il est rayonnant telle une radieuse matinée de fête,
« Ou un lever de soleil ou de lune.
« Mais par malchance, je n'ai pu lui exprimer mon affection
« Que clans une altercation dont le bruit s'est répandu.
« J'ai perdu mon amie, et ma passion s'est assombrie.
« Mon esprit et mon regard ont vu les choses à l'envers.
« Si tu ne me jettes un coup d'œil ô toi si chère, ô mon
« Âme, comment mes idées ne s'égareront elles pas « ? 

Une fois, il s'était enfermé, avec ses familiers, pour une partie de plaisirs. S'étant déguisée, Hafça passa à la porte et remit au concierge un billet avec ce distique :

« Une visiteuse est venue ; elle a les flancs graciles
« De la gazelle et elle désire s'unir à son ami.
« Lui donneriez-vous l'autorisation d'entrer ou quelque
« Empêchement s'y opposerait-il ?

Quand il reçut la missive, il s'écria :
 Par le Dieu de la Kaâba, l'auteur ne peut en être que la moqueuse Hafça ! Il la fit demander et elle fut introuvable. Il lui écrivit ces quelques vers, tant il était désireux qu'elle arrivât pour se délecter à sa société.

« Quelle occupation m'empêcherait-elle de recevoir
« L’aimée, dont la venue fut aussi éblouissante pour moi que le lever du soleil ?
« Viens, donc, toute pleine d'affection ! Je te désire plus
« que la réalisation de tous mes vœux. Depuis combien de
« Temps me remplis-tu d'attente.
« Par le plaisir, la boisson prise le matin ou la soif,
« Est-elle délectable, si tu t'éloignes de moi.
« Non, je le jure par le joug de l'amour et la joie de la rencontre ;
« Et c'est le plus cher des chemins qui y conduit »

Elle était, dit l'auteur, le professeur de ce temps et à la fin de sa vie, elle enseignait les femmes dans le palais d'Yacoub El Mansour. Ce dernier, un jour, lui demanda d'improviser quelques vers. C'est ce qu'elle fît.

« Faites-moi la grâce de me donner une pièce officielle
« Où se trouvera assurée ma vie matérielle.
« Que ta main droite y écrive : Louange à Dieu seul. »

Il se montra généreux à son égard et lui assura comme biens propres tout ce qu'elle possédait.