mardi 30 janvier 2018

LA CONSTRUCTION à CASABLANCA



LA CONSTRUCTION à CASABLANCA


Photo Chelle

Ces deux photographies représentent l'aspect de la place du Socco en 1889, aujourd'hui place de France, et le Havre à barcasses. Prises en 1908, ces vues n'auraient pas varié. L'on sait que les travaux du port commencèrent seulement en 1906 et furent interrompus à plusieurs reprises par des insurrections qui furent, en 1907, le point de départ de l'intervention française pour la pacification et le développement du Maroc. Les travaux furent repris en 1908 par l'amorce de la jetée Delure.


Photo Chelle
1908, Casablanca est à l'image du Maroc : Une bourgade, que rien si ce n'est le génie de Lyautey, n'appelait à devenir la plaque tournante de l'Afrique, prolongement de l'Europe.
1908 : quelques maisons au milieu d'un marécage, entourées d'un amas de détritus et d'ordures, pas de voirie, pas d'eau potable.
Photo Audissou
Le Port de Casablanca. Un des premiers au monde

Aujourd’hui : le port, un des premiers du monde, équipé des installations les plus modernes, une ville industrielle commerçante, en plein essor, en plein travail, une ville résidentielle aux immeubles modernes, avec ses gratte-ciel, ses quartiers de villas et bientôt, à Aïn-Diab son quartier estival, ses plages qui pourront rivaliser avec les plus belles d'Europe et attirer la clientèle été comme hiver.


Photo Rouget
De cette poussée du travail humain, de ces chantiers mouvants, de ces rues en traçage, de ces monuments masqués d'échafaudages, de ces jardins en plantations, de ces gens qui s'affairent, il se dégage une telle assurance dans le présent une telle foi dans l'avenir, une telle passion pour ce coin de terre, qu'il est impossible de n'en pas être saisi et de ne pas se représenter la cité splendide et vivante que nous prépare cette activité, dans quelques années d'ici.
Vincent Berger





Et déjà, Casablanca s'avère trop petit, congestionné entre le boulevard Circulaire des Crêtes et le port. Déjà, dans le centre, la circulation devient difficile, déjà le problème des parkings à voitures se pose.

Lyautey lui-même n'avait pas prévu assez grand.

La phrase de l'Architecte Gabriel :
 « Je ne puis établir des plans qu'à mesure que l'exécution se poursuit» n'est pas plus valable de nos jours pour l'urbanisme, que pour la construction. Il faut prévoir, prévoir grand et dans le détail.
Quoi qu'il en soit, la ville a poussé, éclaté, depuis 1908. 
L'urbanisme, commencé par Prost, poursuivi par Courtois sous l'impulsion du Résident Éric Labonne, continué par Ecochard, a dû s'adapter à cette croissance prodigieuse.

Photo Entreprise
L'immeuble «la Romandie » qui est en voie d'achèvement, attire particulièrement l'attention du public par ses grandes lignes horizontales formées de vastes loggias. Il fait partie du plan de construction d'une importante compagnie immobilière qui assurera l'édification de 36 immeubles composant 1.600 appartements. Un seul immeuble, « la Romandie », a été prévu à usage commercial. Les constructions seront réalisées sur une vaste superficie, cent mille mètres carrés de terrain ont été réserves permettant de vastes dépendances pour jardins et parcs d'enfants. Parmi les entreprises qui participèrent à sa construction, nous citerons : L'Entreprise MONOD qui exécuta le gros-œuvre, l'électricité est due à LUMINEX-ECLAIR, la plomberie à T.C.B.I., les éléments préfabriqués furent réalises par la S.T.I.C., l'étanchéité par la société marocaine EVERSEAL.

Pour une adaptation, le résultat n'est pas mal. Mais c'est maintenant qu'il faut profiter de la leçon, de l'expérience.
 Casablanca n'en est qu'à ses débuts dans le monde. Tenons compte de l'accroissement constant de sa population, estimée aujourd'hui à 700 mille habitants, dont environ 150 mille Européens. Que sera ce chiffre dans l'avenir si la concentration de la population dans les villes continue à s'aggraver au détriment de celle de la campagne, si ; comme il y a tout lieu de le croire, il faut s'attendre à voir la population marocaine dans son ensemble, doubler en 35 et tripler en 55 ans..
Casablanca est encore dans l'adolescence. Il faut donc prévoir l'urbanisme futur. Il faut aussi dans l'immédiat pouvoir satisfaire à cette augmentation de population.



Photo Rouget

Ces magnifiques photos aériennes des artistes photographes Flandrin et Rouget, résument l'histoire du centre de Casablanca. Malgré le coté toujours un peu sec du cliché aérien, la photo de rouget apporte une sorte de poésie du monde moderne, exaltation des buildings qui situe le gigantisme nécessaire de tous les Peuples jeunes et contraste avec les vieilles maisons qui conservent le souvenir de 1907. Des photos de Flandrin, l'une montre le dégagement qui va s'effectuer pour le prolongement de l'Avenue de la République. La photographie apparaît l'aspect nouveau qui se présentera sous peu aux yeux des casablancais par la disparition du « bouchon » que l'on aperçoit sur la deuxième photo prise en 1933. Sur ces photographies, l’on ne voit mieux que dans n'importe quel document, l'effort fait par les architectes et les entrepreneurs pour élargir dans le sens de la hauteur ce point névralgique de Casablanca qu'est la place de France. Le vieux monde de la Médina, serré, entassé, frileux dans ces vides de couleur locale, contraste avec l'œuvre magnifique de La France.

Photo Flandrin
Casablanca est encore dans l'adolescence. Il faut donc prévoir l'urbanisme futur. Il faut aussi dans l'immédiat pouvoir satisfaire à cette augmentation de population.
Photo Bernard Rouget
L'immeuble ORTIBA, abréviation d'organisation technique et immobilière du bâtiment et des travaux publics, est le siège de la chambre syndicale des entrepreneurs français du Maroc. Notre photographie a été prise lors du Vème congres Nord-Africain du bâtiment et des travaux publics qui eut lieu à Casablanca du 13 au 18 avril 1953.

Il faut donc construire. Construire des logements, construire des écoles, construire des hôpitaux, construire des habitations industrielles en un mot construire pour la vie de la ville.
Si les statistiques, pour une fois, ne mentent pas, il aurait été investi dans la construction proprement dite (sans compter la voirie ni .les achats de terrain) en 1952 : 18 milliards 500 millions pour 12.000 logements.
Photo Bernard Rouget








Cet immeuble construit au quartier bourgogne honore les architectes qui l'ont réalisé. Ils ont fait preuve d'un gout et nous ne serons pas démentis en affirmant que ces constructions rendent hommage aux urbanistes de notre ville.











De janvier à septembre 1953 : 14 milliards pour 11.000 logements.
C’est insuffisant. Cet effort doit s’intensifier, il s’intensifie. 

Photo Audissou
Immeuble de l'office chérifien des logements militaires dont l'esthétique ne rappelle en rien celle d'une caserne. Cet immeuble à la fois imposant et élégant, au rez-de-chaussée fleuri de gais magasins, a été construit par l'entreprise marocaine MARCEL CONCHON.

Les pouvoirs Publiques, les employeurs donnent l’exemple. De vastes programmes pour l’habitat indigène sont prévus, plusieurs dizaines de milliers de logements par an. 
Photo Audissou







L'immeuble « Villas Paquet » dont. La magnifique construction s'élève place Nicolas Paquet. Le gros-œuvre a été exécuté far l'entreprise marocaine de constructions J. C. STRIBICK ET Cie, les Ets, MEFFRE et Cie fournirent la menuiserie, l'asphaltage fut réalisé par la S.M.A.






Photo Audissou




Comme la Gare routière C.T.M., l'immeuble « Résidence Lyautey » est également une réalisation de l'entreprise STRIBICK et Cie, étanchéité S.M.A. Cet immeuble répond, par la logique de son plan et par les détails de son aménagement, aux besoins pratiques de la vie actuelle.





Mais comme il faut construire vite et pour le plus grand nombre, il ne parait pas possible, pour des raisons financières évidentes, s'édifier, des maintenant, de nouvelles cités modèles, comme Aïn-Chock, ville moderne qui abrite, actuellement, plus de 15.000 habitants, avec: marché couvert, magasins, écoles, garderies d'enfants, mosquée, hammam, terrain de sport.

Photo Audissou
L'immeuble de la Gare routière C.T.M. en cours d'achèvement. La Gare vient d'être ouverte au public, ce qui va permettre la démolition de l'ancien bâtiment de la place de France, nécessaire au dégagement de l'Avenue de la République.

Il faut avant tout supprimer les conditions d'habitat du bidonville. Il faut le faire le plus rapidement possible, il faut loger les gens dans des conditions d'hygiène satisfaisantes et dans des conditions permettant l'amélioration de leur habitat. C'est ce que les Pouvoirs Publics ont compris et fort bien expliqué d'ailleurs dans la brochure « Des logements pour les marocains ».

mardi 23 janvier 2018

Casablanca


CASABLANCA

Casablanca s'est appelé autrefois Anfa, ou Anafé, puis Dar Beida. La ville n'a pris son nom actuel qu'au début du 20 ème siècle. Mais elle devrait s'appeler Lyautey-ville, car cette ville et ce port ont été voulus par un homme, et réalisés sur son ordre.
C'est pourquoi la statue de Lyautey se dresse au centre de la plus grande place de Casablanca. Du haut de son cheval, le maréchal de bronze voit la ville, dont il a fait dessiner le plan, dont il a parcouru les chantiers; Il devine la présence toute proche du port, dont il a choisi l'emplacement et qui, depuis 1912, est devenu le poumon essentiel du Maroc.
1950 Les français, qui découvrent aujourd'hui le Maroc, ne doivent pas se contenter d'admirer, comme des touristes qui contemplent un spectacle harmonieux et ordonné. Ils doivent aussi « imaginer » ce qu'il a fallu d'esprit et d'énergie, d'initiative et de volonté, pour réaliser cette cité, ces rues et ces immeubles, au milieu desquels ils se promènent.


Photo couleurs Sixta

Face à l'avenue D'Amade qui conduit à la place de France, entre l'hôtel des postes, à gauche, et la statue équestre de Lyautey, aux émouvants bas-reliefs. 
Au deuxième plan, enfouie sous les arbres, l'humble baraque qui servit de poste de commandement au général D'Amade, en 1908, alors que deux frères , Moulay Hafid et Abd el Aziz, se disputaient le nord et le sud du Maroc


Fez, Marrakech, noms prestigieux, cités légendaires de l'Islam, jets d'eau chantant aux vasques de marbre, tonnelles de jasmin, parfums de rose, odeur fraîche de la menthe se mêlant aux doux murmures des samovars ; Rabat, miraculeuse rencontre de la poésie orientale et du génie français... vous offrez, aux yeux et à l'esprit, de faciles enchantements.


            Photo couleurs Sixta

Mais c'est à Casablanca, que bat, d'un rythme puissant, joyeux, accéléré, le cœur de ce grand et beau pays, dans cette "Métro-polis " ardente, fière de son labeur, orgueilleuse de sa puissance, impatiente de son magnifique destin.
Ville tentaculaire, invertébrée, chaotique encore ? c'est vrai ; avec ses laideurs, ses imperfections, mais aussi, ses nobles architectures, ses boulevards aristocratiques, et la classique harmonie de sa place administrative.
Ville de pierre et de fer ? oui, mais ville aussi des parcs à l'ordonnance impeccable, des squares et des rues fleuries de jardins secrets.
Fief des grandes banques, de la lourde industrie, cité des » businessman »? qui s'en plaindrait quand ils sont en même temps possédés du désir de faire ici œuvre française, ennoblis d'un idéal humain qui leur inspire les plus belles réalisations sociales?
Casablanca, et ses restaurants coûteux, ses marchés pléthoriques, le flot de ses opulentes voitures, son luxe et ses plaisirs, son matérialisme enfin ? Pourquoi pas ? 

Photo Verdy
L'Hôtel de ville de Casablanca, qu'on appelle aussi prosaïquement les services municipaux, apparaît à travers les grosses colonnades de la galerie du Palais de Justice. Un beffroi le surmonte, du haut duquel on découvre le plus vaste panorama urbain du Maroc. 
Au premier étage, au centre, se trouvent les magnifiques salles qui servent de cadre aux réceptions et aux bals les plus courus de la saison. A gauche, les fenêtres du bureau du délègue aux affaires urbaines. A droite, devant Les Services Municipaux, quelques palmiers sur lequel veille la statue du Maréchal Lyautey
Quand se lève une superbe jeunesse entraînée aux joyeuses disciplines des stades, des courts, des piscines, dorée aux sables des plages, guidée vers les joies intellectuelles et artistiques, par des mains sûres et attentives; quand le goût  du plaisir se change en élégance et douceur de vivre? Quand les navires du monde entier, abordant la porte océane ouverte entre deux civilisations, apportent ou remportent avec leurs précieuses cargaisons, les bouffées du large, et le rêve infini.
Casablanca, symphonie d'Honegger, brutale, haletante, et comme dissonante à l'oreille profane, où se mêlerait la romance des beaux jardins d'Anfa, c'est là son sortilège.
Le Grand Lyautey, ton fondateur, qui, des premiers, connut ta rive, alors inhospitalière et ton étroite cité somnolente, ne t'eut point souhaitée différente. Et, qui, par sa spéciale présence, sent bien, à ton accueil confiant et chaleureux, que ton cœur est fidèle et ton âme généreuse.


Le Port de Casablanca.                                                                     Photo Belin


Le Port de Casablanca.                                                                     Photo Chelle


Le Port de Casablanca.                                                                     Photo Chelle

L’océan gris et furieux, qu'aucun port jamais n'a calmé, se jette à l'assaut des remparts derrière lesquels somnole Dar-El-Beida. L'heure du destin français de Casablanca, l'heure de Lyautey et de ses héroïques prédécesseurs n'a pas encore sonné.

mercredi 10 janvier 2018

1949. LES SAISONS MAROCAINES

1949. LES SAISONS MAROCAINES

1949 L’influence atlantique possède des vertus toniques et vivifiants dont est plus ou moins dépourvue la Méditerranée. C'est pourquoi l'on peut annoncer le plus brillant avenir aux diverses plages qui se succèdent sur la côte atlantique du Maroc D'AGADIR jusqu'à Port-Lyautey.

Les chaleurs de l'été ne sont guère supportables au Maroc que sur les hauteurs de l'Atlas ou sur les plages de l'Océan qui jouissent alors d'un climat comparable à celui de la Provence et de la Côte d'Azur.
La lumière seule y est peut-être plus intense, mais la température en est pareillement idéale.


Mazagan. La pergola fleurie du jardin public
Déjà Lyautey voyait en Mazagan le « Deauville » marocain. Aujourd'hui, Aïn-Diab (la plage de Casablanca) possède des clubs et des établissements balnéaires de premier ordre. Et si, près de Port-Lyautey, Mehdia n'en est encore qu'à sa préhistoire, la splendeur de son immense plage de sable, le charme encore sauvage de son arrière-pays, la proximité immédiate de Rabat, permettent de lui prédire sans crainte un proche et prestigieux destin. Cependant, l'été ne sera jamais une saison de grand tourisme au Maroc. A l'intérieur du pays, les chaleurs sont trop violentes. Le paysage chatoyant de fleurs multicolores, hirsute de moissons surabondantes trois mois plus tôt, succombe à partir de juillet sous le feu terrible du soleil africain.








Aussi la pluie, quand elle survient aux approches de l'automne, n’a-t-elle pas au Maroc le même visage triste qu'on peut lui voir dans les régions nordiques.
Nulle mélancolie, nul « spleen », ne s'en dégagent. 
Camp-BOULHAUT. Vendanges marocaines.

Mais une joie violente au contraire, comme sont violentes les averses, une joie qui se reflète aussi bien sur les visages que dans les paysages où reverdissent inespérément les arbustes autour des oueds débordés.La terre se gorge d'eau. Et le ciel, sans lésiner, lui verse d'énormes rasades, des cataractes de cette eau qu'elle a tant souhaitée. Puis, au bout d'un jour ou deux de cette aquatique orgie, dans une atmosphère délicieusement rafraîchie, le soleil reparaît durablement et fait alors chanter les couleurs avec une délicatesse sereine qu'elles ne retrouveront peut-être en nulle autre saison, même au plus exquis de l'hiver.

Aussi peut-on dire que c'est une hérésie (fort répandue, du reste), de penser que le Maroc ne se doit visiter qu'à partir de décembre et jusqu'à la mi-juin.En vérité, la saison des vendanges, pour méconnue qu'elle soit encore, est une des plus belles saisons du Maroc. La relative solitude dont jouit alors le visiteur lui permet de découvrir le pays dans son plus authentique visage. C'est le meilleur moment pour saisir le Maroc dans sa séduisante intimité.

Le début de l'hiver au Maroc donne le signal d'ouverture de 1 la grande saison mondaine.

Marrakech au milieu de ses palmes, de ses oliveraies ceignant les Aguedals, de ses mimosas tout près d'éclore, de ses orangers surchargés de fruits éclatants, Marrakech est la reine incontestée de l'hiver nord-africain. La splendeur du site, une température qui ne descend à peu près jamais au-dessous de 0°, le pittoresque si purement médiéval de la médina, un programme de festivités prestigieuses, tendent d'année en année à faire de Marrakech l'une des stations d'hiver les plus recherchées du monde.
Championnat de ski  du  Maroc à l'Oukaimeden.
 A quelque deux heures de voiture, l'on peut s'adonner aux joies du ski sur les magnifiques pentes neigeuses de l'Oukaimeden. C'est là d'ailleurs que se disputent les championnats de l'Afrique du Nord.
Dans le Moyen Atlas, à proximité de Fès, d'autres stations de sports d'hiver acquièrent pareillement chaque année plus d'importance. C'est Bou Iblane, c'est Azrou, et c'est Ifrane qui, oasis de verdure en été, tout enneigée en hiver, évoque alors mainte charmante station des Alpes.
La joyeuse sérénité des hivers marocains n'enchante pas seulement en montagne, partout elle suscite des impressions d'un exotisme et d'une saveur inoubliables, qu'elle possède la fraîcheur des oranges cueillies sous la neige étincelante ou qu'elle se charge du parfum capiteux des mimosas annonciateurs du printemps

Le printemps éclate au Maroc avec une frénésie qu'on ne saurait traduire. Certes l'on peut bien écrire que « la terre alors se surcharge de fleurs », mais cela n'exprime en rien l'immense floraison délirante de couleurs qui recouvre la campagne marocaine de son dense tapis. Il faut voir ces myriades et ces myriades de fleurs se fondre jusque dans les lointains en nappes inouïes de jaunes, d'orangés, de mauves, de rouges ou de bleus purs. Les peintres eux-mêmes désespèrent d'exprimer cet éblouissement, cette féerie de couleurs jouant dans la lumière incomparable.
AZILAL. Amandiers en fleurs.
Le printemps qui s'étale ainsi dans les plaines, qui éclate dans les oasis, monte pareillement à l'assaut des montagnes où les sous-bois des admirables forêts de cèdres s'enchantent de l'envahissement bleu des iris. Dans les villes, partout les jardins débordent de fleurs et de parfums. Bougainvilliers mauves, pourpres, violets, déferlant en vagues géantes, éclaboussant les murs jusqu'au sommet des maisons, mousse d'or des mimosas, taches rouges des ibiscus et des géraniums à taille d'arbuste formant des buissons, grimpant comme lierre au long des pergolas ; sauges sanglantes, tendres azalées, magnolias immenses, maquis de roses multicolores. C'est l'époque des grandes randonnées touristiques dans le Sud et tout au long de l'Atlantique dont les eaux sous le soleil déjà chaud s'offrent à des bains délicieux, tandis que l'Europe grelotte encore dans ses brumes.

samedi 6 janvier 2018

La ville de Casablanca Telle que l'a vue le DOCTEUR WEISGERBER


Consulat de France et Poste française un jour de Courrier

Bastion de Sidi Allal El Kairouani
LA VILLE DE CASABLANCA
Telle que l'a vue le  
DOCTEUR WEISGERBER

Le voyageur qui en 1950 découvre Casablanca admire cette immense ville blanche, frémissante d'activité et de force, comme un jeune géant qui n'a pas achevé, loin de là, sa prodigieuse croissance. Mais si l'actuel est admirable, le récent passé est encore plus étonnant. Pour bien comprendre ce qu'est la ville de Casablanca, il faut savoir ce qu'elle était il y a cinquante ans à peine.
Dunes, Piste de Rabat et Ruines de Ksibat Errahmani.
(Emplacement approximatif de La Rue Georges Mercier)

Grace au Dr. F. Weisgerber, nous pouvons effectuer cette plongée dans le temps, nous pouvons, en lisant ses livres à la fois savoureux et pleins d'enseignements nous représenter la petite bourgade de Dar Beida telle qu'il l’a vue de ses yeux en 1897.
Dans « Casablanca et les Chaouïa en 1900 »  comme dans « Au Seuil du Maroc moderne » , le Dr. Weisgerber a réuni ses souvenirs et ses jugements. Homme d'action et homme de pensée, l'auteur ne nous offre pas un sec résumé de son expérience marocaine, il ne se borne pas à des croquis schématiques, il ressuscite littéralement le passé.
Voici, quelques-uns des passages les plus significatifs, de ces deux livres, illustré avec des clichés, que l'auteur lui-même avait choisis pour ses ouvrages.

Ce plan levé et dressé par le Dr WEISGERGER montre ce qu’était la bourgade de DAR BEIDA au début du 20ème siècle.
A l’intérieur de ses murailles vivaient environ 25.000 marocains et quelques centaines d’européens.
Des rochers à découvert enserraient le petit port à barcasses et la Darse. Près de Sidi Belyout, des souks et des jardins, des cimetières  et des terrains vagues. A l’extérieur des remparts, couvraient l’emplacement de la ville actuelle. Le Bled commençait à ce que nous appelons aujourd'hui "La Place de France".

Voici d'abord la ville et ses habitants, peu nombreux mais d'origines variées :
Casablanca tout entière tenait alors dans l'enceinte de ses murailles.
Elle comptait environ 25.000 Marocains dont un cinquième d'Israélites, et une colonie européenne femmes et enfants compris, d'approximativement 500 têtes, dont 400 Espagnols, une trentaine de Français, autant d'Anglais et d'Allemands et une dizaine de Portugais et d'Italiens.
Bab El Marsa. Porte de La Marine

C'était, après celle de Tanger, la colonie européenne de beaucoup la plus importante du Maroc. Presque tous ces Européens parlaient en plus de leur langue nationale, l'arabe et l'espagnol.
La ville se divisait en trois quartiers : autour du Dar el Maghzen.
*La Médina, quartier de la bourgeoisie musulmane, des consulats européens et de leurs ressortissants et des familles israélites aisées ; le, long des remparts de l'Est, au nord de Bab el Kébir. (Porte aujourd'hui disparue près de la Tour de l'horloge).
*Le quartier juif ou Mellah.
*Le quartier au nord d'une ligne allant à peu près de la porte de Marrakech à Sidi Allal el Karouani, les Tankers, quartier composé presque exclusivement de nouallas en roseaux ou grouillait le prolétariat indigène originaire des tribus voisines ou du Sous.

« La ville était placée sous l'autorité d'un Gouvernement Civil et militaire qui était à la fois caïd de Casablanca et de la tribu des Médiouna. Le titre de pacha ne fut introduit par le protectorat que plus tard.
Bab El Kébir ou Bab Es-souk 
« Au centre de la ville, il y avait un petit coin d'Andalousie, resté à peu près intact jusqu'à ce jour :
Le bout de rue qui conduit au Consulat d'Espagne et la petite place triangulaire qui le précède ; à côté de la maison de l'agent sanitaire maritime, le Circulo del Progreso aujourd'hui le Petit-Riche.
En face, un salon de coiffure espagnol, lieu de réunion presque aussi fréquenté que le cercle, et la maison de Don. Manuel A. propriétaire de ce qui est devenu depuis la ferme Amieux, puis la ferme expérimentale, qui doit valoir aujourd'hui de nombreux millions et dont alors il ne trouva pas preneur pour 20.000 pesetas.
Au fond de la petite place le Consulat d'Espagne et à côté, précédée d'une petite impasse, la maison du médecin attaché au Consulat.
La Douane. Place de L'Amiral Philibert
« Presque tout le reste de la vieille ville s'est bien transformé depuis lors. Le tracé des rues est resté à peu près le même ; mais ces rues étaient alors bordées de murailles aveugles ou ne s'ouvraient que les portes rébarbatives des maisons et, çà et là, quelques sordides échoppes ou l'entrée de quelque fondouk où s'entassaient les peaux, les laines et les céréales amenées par les caravanes.
Aucun balcon et très peu de fenêtres. Pleine de poussière en été, d'une boue noire et fétide en hiver, les artères, même les plus importantes, étaient en tout temps jonchées d’immondices : on appliquait le système du « tout à la rue ».
Aucun éclairage public, la nuit venue, on ne circulait plus qu'avec des lanternes, faute de quoi on s'exposait à recevoir un coup de fusil d'un assas ou à quelque autre désagrément comme celui qui m'advint une nuit ou je rentrais un peu tard, du cercle de l'Anfa.

Place du Commerce. (Campagne de Céréales)
Ayant buté contre un obstacle et voulant l'enjamber, je me sentis aussitôt soulevé à une hauteur qui me parut vertigineuse pour me retrouver immédiatement après étalé dans la boue ; j'avais simplement trébuché contre le cou d'un chameau qui dormait étendu au milieu de la rue et qui avait pris mon coup de pied pour une invitation à se mettre debout ».
Comment vivait-on dans cette ville et quelles distractions s'offraient alors aux Européens ? La réponse à ces questions nous est donnée par le Dr. Weis­gerber en ces termes :
Angle de La Médina et Sidi Belyout. (BD du 4ème Zouaves et BD Pasteur)
« La vie à Casablanca était large et facile : le loyer de la plus belle maison ne dépassait pas cinquante francs ; la viande, bœuf ou mouton, était à quatre sous le kilo, un poulet à huit sous, et le poisson était encore moins cher ; les œufs valaient de deux à trois centimes pièce et pour quelques sous on vous remplissait un panier de légumes et de fruits. L'orge valait de quatre à dix francs le quintal ; pour quinze ou vingt francs on avait un âne, pour trente à cinquante francs une mule de bât ou un cheval de selle ordinaire et, à partir de deux cents francs, une monture excellente.

« Aussi les Européens avaient-ils tous une écurie bien montée, indispensable à tous ceux qui avaient à se déplacer. Ils pratiquaient entre eux une large hospitalité et s'entendaient à merveille à tirer du pays toutes les distractions qu'il pouvait leur offrir. Le reste du temps, ils attendaient le courrier. .
L’ancêtre des Eucalyptus de Casablanca.
Approximatif BD de Paris, Cercle des Officiers)
« Il n'existait encore aucun café mais deux cercles qui en tenaient lieu : le club international de l'Anfa, qui occupait déjà dans la rue son local actuel, et le cercle espagnol déjà nommé, qui, tous deux, organisaient de temps à autre des soirées dansantes. De loin en loin une troupe de zarzuela ou de danseuses espagnoles venait monter ses tréteaux dans quelque fondouk inoccupé. Au printemps, à l'occasion des fêtes de Pâques généralement, les fervents des sports hippiques allaient s'installer sur ce qui tenait lieu de champ de courses, à Okacha, (aujourd'hui les Roches Noires) et, pendant deux ou trois jours, y faisaient courir leurs chevaux et se livraient à toutes sortes de jeux équestres, dont la gracieuse corrida de sortijas, ou course aux anneaux. 
Piste des Ouled Hariz. (Avenue D'Amade)


Ce jeu, réserve aux jeunes gens, consistait, en passant au triple galop sous une sorte de potence, dressée au bord de la piste, à enlever des anneaux garnis d'un flot de rubans qui y étaient suspendus. Les gagnants s'attachaient les rubans à l'épaule gauche en attendant d'en faire hommage aux jolies spectatrices en manches à gigot.


« A partir du mois de juin, la plage, aujourd'hui disparue, se couvrait de tentes pour la saison des bains de mer. »
Cultures Maraîchères. (Site approximatif Place Administrative)
«. La chasse aussi avait de nombreux adeptes. Le pays était beaucoup plus giboyeux qu’aujourd’hui. Les lièvres, les perdrix, les poules de Carthage, les Francolins, les bécassines, les cailles pullulaient. Les sangliers abondaient partout où il y avait des fourrés. La grande outarde n'était pas rare ; les porcs-épics hantaient les falaises et les vallées encaissées : des hardes d'une centaine de gazelles parcouraient les steppes de l'intérieur, au-delà de Settat et de Dar Ben Ahmed ; des panthères, les lynx et les hyènes de la forêt des Zaïre venaient parfois chasser sur les territoires limitrophes et, de temps à autre, mais assez rarement, on pouvait acheter à Casablanca, une peau de lion provenant du Moyen Atlas. 

Dans la vaste forêt des Souallem que traversait la piste côtière de Casablanca à Azemmour, j'ai pris part, avec les Ouled Hariz et les Ouled Zyane, à des chasses au cours desquelles, en huit jours, on tua une centaine de sangliers, sans compter les renards, les chacals et le menu gibier Ce n’est pas un tableau digne de figurer dans les meilleurs récits cynégétiques que nous clorons cette évocation du Casablanca d'autrefois.
Piste de Rabat. (BD Pasteur)
Le Dr. Weisgerber, que le général d'Amade considérait comme un de ses « chers camarades » a vécu assez longtemps pour voir la transformation du Vieux Maroc et l'œuvre du Protectorat. Il n'a cessé, jusqu'au dernier jour de sa verte vieillesse, de s’intéresser il l'avenir de ce pays. La ville de Rabat, ou il avait établi sa résidence, s'enorgueillit d'une rue qui porte le nom de ce pionnier lucide et persévérant.

Ses livres devraient être lus par tous ceux qui arrivent à Casablanca, et par tous ceux, Français et Marocains qui cherchent en toute objectivité, à mesurer le chemin parcouru et l'ampleur de l'œuvre accomplie. Pour notre part nous ne voulons pas d'autre conclusion à ce luminaire.