samedi 6 janvier 2018

La ville de Casablanca Telle que l'a vue le DOCTEUR WEISGERBER


Consulat de France et Poste française un jour de Courrier

Bastion de Sidi Allal El Kairouani
LA VILLE DE CASABLANCA
Telle que l'a vue le  
DOCTEUR WEISGERBER

Le voyageur qui en 1950 découvre Casablanca admire cette immense ville blanche, frémissante d'activité et de force, comme un jeune géant qui n'a pas achevé, loin de là, sa prodigieuse croissance. Mais si l'actuel est admirable, le récent passé est encore plus étonnant. Pour bien comprendre ce qu'est la ville de Casablanca, il faut savoir ce qu'elle était il y a cinquante ans à peine.
Dunes, Piste de Rabat et Ruines de Ksibat Errahmani.
(Emplacement approximatif de La Rue Georges Mercier)

Grace au Dr. F. Weisgerber, nous pouvons effectuer cette plongée dans le temps, nous pouvons, en lisant ses livres à la fois savoureux et pleins d'enseignements nous représenter la petite bourgade de Dar Beida telle qu'il l’a vue de ses yeux en 1897.
Dans « Casablanca et les Chaouïa en 1900 »  comme dans « Au Seuil du Maroc moderne » , le Dr. Weisgerber a réuni ses souvenirs et ses jugements. Homme d'action et homme de pensée, l'auteur ne nous offre pas un sec résumé de son expérience marocaine, il ne se borne pas à des croquis schématiques, il ressuscite littéralement le passé.
Voici, quelques-uns des passages les plus significatifs, de ces deux livres, illustré avec des clichés, que l'auteur lui-même avait choisis pour ses ouvrages.

Ce plan levé et dressé par le Dr WEISGERGER montre ce qu’était la bourgade de DAR BEIDA au début du 20ème siècle.
A l’intérieur de ses murailles vivaient environ 25.000 marocains et quelques centaines d’européens.
Des rochers à découvert enserraient le petit port à barcasses et la Darse. Près de Sidi Belyout, des souks et des jardins, des cimetières  et des terrains vagues. A l’extérieur des remparts, couvraient l’emplacement de la ville actuelle. Le Bled commençait à ce que nous appelons aujourd'hui "La Place de France".

Voici d'abord la ville et ses habitants, peu nombreux mais d'origines variées :
Casablanca tout entière tenait alors dans l'enceinte de ses murailles.
Elle comptait environ 25.000 Marocains dont un cinquième d'Israélites, et une colonie européenne femmes et enfants compris, d'approximativement 500 têtes, dont 400 Espagnols, une trentaine de Français, autant d'Anglais et d'Allemands et une dizaine de Portugais et d'Italiens.
Bab El Marsa. Porte de La Marine

C'était, après celle de Tanger, la colonie européenne de beaucoup la plus importante du Maroc. Presque tous ces Européens parlaient en plus de leur langue nationale, l'arabe et l'espagnol.
La ville se divisait en trois quartiers : autour du Dar el Maghzen.
*La Médina, quartier de la bourgeoisie musulmane, des consulats européens et de leurs ressortissants et des familles israélites aisées ; le, long des remparts de l'Est, au nord de Bab el Kébir. (Porte aujourd'hui disparue près de la Tour de l'horloge).
*Le quartier juif ou Mellah.
*Le quartier au nord d'une ligne allant à peu près de la porte de Marrakech à Sidi Allal el Karouani, les Tankers, quartier composé presque exclusivement de nouallas en roseaux ou grouillait le prolétariat indigène originaire des tribus voisines ou du Sous.

« La ville était placée sous l'autorité d'un Gouvernement Civil et militaire qui était à la fois caïd de Casablanca et de la tribu des Médiouna. Le titre de pacha ne fut introduit par le protectorat que plus tard.
Bab El Kébir ou Bab Es-souk 
« Au centre de la ville, il y avait un petit coin d'Andalousie, resté à peu près intact jusqu'à ce jour :
Le bout de rue qui conduit au Consulat d'Espagne et la petite place triangulaire qui le précède ; à côté de la maison de l'agent sanitaire maritime, le Circulo del Progreso aujourd'hui le Petit-Riche.
En face, un salon de coiffure espagnol, lieu de réunion presque aussi fréquenté que le cercle, et la maison de Don. Manuel A. propriétaire de ce qui est devenu depuis la ferme Amieux, puis la ferme expérimentale, qui doit valoir aujourd'hui de nombreux millions et dont alors il ne trouva pas preneur pour 20.000 pesetas.
Au fond de la petite place le Consulat d'Espagne et à côté, précédée d'une petite impasse, la maison du médecin attaché au Consulat.
La Douane. Place de L'Amiral Philibert
« Presque tout le reste de la vieille ville s'est bien transformé depuis lors. Le tracé des rues est resté à peu près le même ; mais ces rues étaient alors bordées de murailles aveugles ou ne s'ouvraient que les portes rébarbatives des maisons et, çà et là, quelques sordides échoppes ou l'entrée de quelque fondouk où s'entassaient les peaux, les laines et les céréales amenées par les caravanes.
Aucun balcon et très peu de fenêtres. Pleine de poussière en été, d'une boue noire et fétide en hiver, les artères, même les plus importantes, étaient en tout temps jonchées d’immondices : on appliquait le système du « tout à la rue ».
Aucun éclairage public, la nuit venue, on ne circulait plus qu'avec des lanternes, faute de quoi on s'exposait à recevoir un coup de fusil d'un assas ou à quelque autre désagrément comme celui qui m'advint une nuit ou je rentrais un peu tard, du cercle de l'Anfa.

Place du Commerce. (Campagne de Céréales)
Ayant buté contre un obstacle et voulant l'enjamber, je me sentis aussitôt soulevé à une hauteur qui me parut vertigineuse pour me retrouver immédiatement après étalé dans la boue ; j'avais simplement trébuché contre le cou d'un chameau qui dormait étendu au milieu de la rue et qui avait pris mon coup de pied pour une invitation à se mettre debout ».
Comment vivait-on dans cette ville et quelles distractions s'offraient alors aux Européens ? La réponse à ces questions nous est donnée par le Dr. Weis­gerber en ces termes :
Angle de La Médina et Sidi Belyout. (BD du 4ème Zouaves et BD Pasteur)
« La vie à Casablanca était large et facile : le loyer de la plus belle maison ne dépassait pas cinquante francs ; la viande, bœuf ou mouton, était à quatre sous le kilo, un poulet à huit sous, et le poisson était encore moins cher ; les œufs valaient de deux à trois centimes pièce et pour quelques sous on vous remplissait un panier de légumes et de fruits. L'orge valait de quatre à dix francs le quintal ; pour quinze ou vingt francs on avait un âne, pour trente à cinquante francs une mule de bât ou un cheval de selle ordinaire et, à partir de deux cents francs, une monture excellente.

« Aussi les Européens avaient-ils tous une écurie bien montée, indispensable à tous ceux qui avaient à se déplacer. Ils pratiquaient entre eux une large hospitalité et s'entendaient à merveille à tirer du pays toutes les distractions qu'il pouvait leur offrir. Le reste du temps, ils attendaient le courrier. .
L’ancêtre des Eucalyptus de Casablanca.
Approximatif BD de Paris, Cercle des Officiers)
« Il n'existait encore aucun café mais deux cercles qui en tenaient lieu : le club international de l'Anfa, qui occupait déjà dans la rue son local actuel, et le cercle espagnol déjà nommé, qui, tous deux, organisaient de temps à autre des soirées dansantes. De loin en loin une troupe de zarzuela ou de danseuses espagnoles venait monter ses tréteaux dans quelque fondouk inoccupé. Au printemps, à l'occasion des fêtes de Pâques généralement, les fervents des sports hippiques allaient s'installer sur ce qui tenait lieu de champ de courses, à Okacha, (aujourd'hui les Roches Noires) et, pendant deux ou trois jours, y faisaient courir leurs chevaux et se livraient à toutes sortes de jeux équestres, dont la gracieuse corrida de sortijas, ou course aux anneaux. 
Piste des Ouled Hariz. (Avenue D'Amade)


Ce jeu, réserve aux jeunes gens, consistait, en passant au triple galop sous une sorte de potence, dressée au bord de la piste, à enlever des anneaux garnis d'un flot de rubans qui y étaient suspendus. Les gagnants s'attachaient les rubans à l'épaule gauche en attendant d'en faire hommage aux jolies spectatrices en manches à gigot.


« A partir du mois de juin, la plage, aujourd'hui disparue, se couvrait de tentes pour la saison des bains de mer. »
Cultures Maraîchères. (Site approximatif Place Administrative)
«. La chasse aussi avait de nombreux adeptes. Le pays était beaucoup plus giboyeux qu’aujourd’hui. Les lièvres, les perdrix, les poules de Carthage, les Francolins, les bécassines, les cailles pullulaient. Les sangliers abondaient partout où il y avait des fourrés. La grande outarde n'était pas rare ; les porcs-épics hantaient les falaises et les vallées encaissées : des hardes d'une centaine de gazelles parcouraient les steppes de l'intérieur, au-delà de Settat et de Dar Ben Ahmed ; des panthères, les lynx et les hyènes de la forêt des Zaïre venaient parfois chasser sur les territoires limitrophes et, de temps à autre, mais assez rarement, on pouvait acheter à Casablanca, une peau de lion provenant du Moyen Atlas. 

Dans la vaste forêt des Souallem que traversait la piste côtière de Casablanca à Azemmour, j'ai pris part, avec les Ouled Hariz et les Ouled Zyane, à des chasses au cours desquelles, en huit jours, on tua une centaine de sangliers, sans compter les renards, les chacals et le menu gibier Ce n’est pas un tableau digne de figurer dans les meilleurs récits cynégétiques que nous clorons cette évocation du Casablanca d'autrefois.
Piste de Rabat. (BD Pasteur)
Le Dr. Weisgerber, que le général d'Amade considérait comme un de ses « chers camarades » a vécu assez longtemps pour voir la transformation du Vieux Maroc et l'œuvre du Protectorat. Il n'a cessé, jusqu'au dernier jour de sa verte vieillesse, de s’intéresser il l'avenir de ce pays. La ville de Rabat, ou il avait établi sa résidence, s'enorgueillit d'une rue qui porte le nom de ce pionnier lucide et persévérant.

Ses livres devraient être lus par tous ceux qui arrivent à Casablanca, et par tous ceux, Français et Marocains qui cherchent en toute objectivité, à mesurer le chemin parcouru et l'ampleur de l'œuvre accomplie. Pour notre part nous ne voulons pas d'autre conclusion à ce luminaire.

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