CASABLANCA VILLE DE TOURISTES
1950.
Si le touriste
est un monsieur qui exige qu'on lui serve sur un plateau, chaque matin, avec
les croissants de son petit déjeuner, la splendeur d'un paysage analogue à
celui du Grand-Atlas, de l'estuaire du Bou-Regreg ou du tour de Fès, Casablanca
n'est pas une ville pour lui.
La capitale
industrielle et commerciale du Maroc ne possède pas de sites, ni de monuments
qui méritent les descriptions enflammées d'un Johanne ou d'un Baedeker. Du
moins c'est ce qu'on dit et ce qu'on répète :
Casablanca n'est
pas une ville touristique. Mais, en général, tout ce qu'on dit et même tout ce
qu'on répète mérite d'être regarde à deux fois.
Casablanca n'est
peut-être pas une ville touristique au sens qu'à Nice ou à Deauville on donne à
ce mot, mais, incontestablement, c'est une ville de touristes. Pour se
démontrer la vérité de cette proposition, il suffit d'ouvrir les yeux : les
touristes sont là, dans les rues de Casablanca, à chaque arrivée de bateau ou
d'avion. Ils se promènent par groupes, en calèches ; ces calèches si
commodes pour visiter vraiment tous les quartiers d'une ville, pour s'imprégner
de la réalité vivante qu'une grande cité constitue.
On les voit
aussi, ces touristes, devant l'église du Parc Lyautey, sur la plage d'Aïn-Diab,
sous les chemins ombreux d'Anfa, dans les rues de la vieille ou de la nouvelle médina,
partout où il y a quelque chose à regarder, partout ou Casablanca montre son,
ou plutôt ses visages de ville géante en pleine croissance.
Les chantiers
eux-mêmes de Casablanca sont pittoresques. Ce ne sont pas les derniers objets
sur lesquels se porte l'attention des touristes, et ceux-ci ont raison. Certes
le passé tel que nous le révèlent les monuments catalogués est émouvant et
instructif. Sous peine de recevoir un brevet de Béotien, il est impossible de
ne pas admirer les Tombeaux Saadiens, cette merveille découverte par hasard. Il
est impossible de ne pas rêver devant ces pierres, surtout si l'on évoque en
même temps que Abd el Malek, le vainqueur de la bataille des Trois Rois, et El Mansour,
les rois de France Henri III, Henri IV avec lesquels, ces sultans étaient en
relations.
Mais le présent,
et surtout l'avenir, en germe dans l'immédiat, sont encore plus exaltants.
Promenez-vous
dans Casablanca en compagnie d'un Vieux Marocain, c'est-à-dire d'un homme qui
n'est pas forcement âgé, mais qui a vu ce que vos yeux ne verront jamais, et
que votre esprit a peine à imaginer :
La place de
France occupée par un souk à bourriquots, la rue de l'Horloge transformée en une
piste qui zigzague au milieu de cactus, la poste de la Bourse du Commerce installée
au milieu d'une sorte de no man’s land, ou rien ne permet de prévoir le futur
tracé du boulevard de la Gare.
Ecoutez votre
compagnon qui vous parle de la naissance du port, de sa difficile construction,
de la tempête qui a failli renverser la vedette du Général d'Amade, et dont les
vagues ont arrosé tous ceux qui, sur le quai embryonnaire, assistaient au départ
de l'illustre soldat. Ecoutez-le qui vous racontéIl la vie difficile et mouvementée
des pionniers de 1907 et de 1912, du temps ou la ferme Amieux représentait pour
les Casablancais un but d'excursion lointaine, à ne pas effectuer sans fusil.
Ecoutez-le qui évoque
la colline d'Anfa, vaste et maigre pâturage, où les bergers, sous la tente,
voyaient souvent les chacals et les loups semer la terreur parmi leurs moutons.
Il n'est pas
besoin de remonter aux temps lointains et un peu mystérieux ou Casablanca s'appelait
Anfa. Pour mesurer l'ampleur des transformations réalisées et des créations effectuées
en ce point de la côte marocaine, il suffit d'écouter ceux qui ont été les témoins
vivants de ces coups de baguette magique.
Le touriste n'est
pas seulement pourvu d'un carnet de chèques-voyages et d'un appareil
photographique. Il possède aussi un cerveau, il est capable d'apprécier la
valeur humaine de ce qu'il voit, et Casablanca, sur ce point, lui offre des
satisfactions surprenantes. Même si le touriste est pressé, même s'il n'a pas
le temps d'écouter et de se renseigner, il ne peut rester insensible à la vue
d'une grande ville moderne qui, littéralement, grandit encore sous ses yeux.
Les chantiers de Casablanca, loin d'être des tares et des verrues, sont la parure
fruste et prometteuse de cette cité dont les créateurs n'ont pas dit leur
dernier mot.
Une rue
étroite de la vieille médina, ou chaque maison, ou chaque pierre garde le
souvenir des journées tragiques d’août 1907. Mais qui se souvient des Evènements
de Casablanca, et de l'insécurité à laquelle mirent fin les marins de l'amiral
Philibert ?
Le même touriste
pressé s'accordera quelques moments de flânerie dans la vieille médina. Ces
rues étroites, cette foule bigarrée, ces maisons aux couloirs sombres qu'on
devine pleines de vie, ces magasins dont les marchandises débordent sur les
trottoirs, ces cuivres et ces tapis dont Schéhérazade se serait enchantée, ces
« cafés » minuscules parfumés à la menthe, c'est l'Orient ; un Orient que
la géographie situe à l'ouest de l'Afrique, mais dont les couleurs et
les odeurs ne trompent point. Qu'on voit la médina au milieu de la chaleur et
des bruits de la journée, ou sous le silence amical de la lune ; si belle
pour qui goute en néophyte la douceur des nuits marocaines ; qu'on la voit
en n'importe quelle saison, elle donne au visiteur des impressions qu'il
comparera ensuite à d'autres, certes, mais qu'il n'oubliera jamais
Casablanca en
effet est la porte du Maroc. C'est dans cette ville si européenne en apparence
que le touriste découvre l'Orient marocain. C'est là qu'il s'arrête pour
composer ou modifier son itinéraire. C'est là qu'il reçoit, tout en se délassant,
une belle leçon d’énergie, et l'on peut être sûr qu'il saura gouter la saveur
d'un tel paradoxe.
Le touriste,
comme tout le monde, aime à être surpris. Casablanca est justement une ville
étonnante. Par ses dimensions d'abord, par ses kilomètres de rues, par sa
croissance rapide et continuelle, par la juxtaposition de deux civilisations,
par l'organisation de sa nouvelle médina de la cité des Habous, déjà patinée,
et des blancheurs d'Aïn-Chok. Il faut parler aussi de ses environs immédiats :
On ne peut avoir
visité Casablanca sans avoir effectué le tour d'Anfa et admiré la villa blanche
ou logea le Président Roosevelt. On devrait aussi se promener dans le vaste
parc de l'Hermitage qui ressemble à une oasis de verdure aux portes de la
ville, ou encore faire du footing sur la longue plage d'Aïn-Diab, entre les
dunes boisées et l’Océan aux vagues toujours recommencées.
On devrait...
mais dans une ville immense, les possibilités sont immenses.
Le jour, ou
Casablanca sera aussi riche en hôtels qu'elle l'est en réalités touristiques, son
nom s’inscrira parmi ceux des grands buts d'étape mondiaux. Elle sera, elle est
déjà l'un des plus humains et, dans le siècle ou nous sommes, l'un des plus
exaltants. Ce n'est pas faire preuve de chauvinisme, ou de particularisme que
d'affirmer cela, c'est présenter une ville sous son jour vrai, et c'est aussi
rendre un nouvel hommage à l'homme qui s'appelait Lyautey et qui a, de toute la
force de son génie, voulu Casablanca.
La blanche
et vaste cité musulmane d'Ain-Chok à l'intersection de la route de Marrakech et
du BD des crêtes. Une superbe vue qui émerveille tous les visiteurs.
Des
architectes français, MM. Cadet et Brion ont dessiné, pour le service des
Habous, la 1ère nouvelle Médina de Casablanca. Dans un style très pur, de
maisons blanches et des rues qui passent sous des portes voûtées, des enfants
au crâne, rasé (sauf la natte rituelle) des mendiantes qui sont surtout des
prieuses et des invocatrices. Des hommes en djellabas et de la lumière : C'est
l'Orient...
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