lundi 25 décembre 2017

La Vie Musulmane à Casablanca

La Vie Musulmane à Casablanca


1950.  
L'UN des contrastes qui frappe le plus le nouveau venu à Casablanca est la juxtaposition de la ville médina et du quartier moderne de la place de France. Assis à la terrasse d'un des cafés qui bordent cette place, l'on aperçoit, tout près, les petites maisons de l'ancienne Dar el Beida et les rues étroites qui y pénètrent. Une foule bigarrée va et vient, dans laquelle un ethnographe identifierait les types les plus variés. Mais l'œil du nouveau venu ne voit que des Marocains. Il ignore encore la distinction qui convent de faire entre les Arabes et les Berbères, les uns coiffés du tarbouche et les autres du chèche enroulé autour du crâne rasé. Il devra aussi s'habituer à reconnaître des sujets de S.M. le Sultan dans ces personnages vêtus à l'européenne en veston, du bon faiseur, qui vont le plus souvent nu-tête et qui sont Israélites ou musulmans.


Une promenade dans un jardin de Casablanca. Ce jardin ne date pas d'hier à en juger par la hauteur de ses palmiers. M. LOUIS DELAU avait raison de faire observer que cet arbre fort décoratif, se révèle fort décevant si l'on en attend de l'ombre. Mais il conserve son pittoresque à en juger par cet photo.
  
L’œil s'intéresse également aux silhouettes féminines, qui semblent destinées aux affiches par lesquelles on vante le Maroc, pays du soleil. Les unes sont enveloppes de blancs haïks, ce qui est à la fois très propre à charmer les peintres et très incommode pour traverser les rues et les carrefours. D'autres vêtu es de djellabas sont plus rapides et plus séduisantes. Il faudra quelque temps au néo-Casablancais pour savoir que cette différence de vêtements correspond à une véritable révolution au sein de la population féminine ; et même masculine - car, de tout temps et partout, les hommes se sont intéressés aux costumes de leurs femmes. La djellaba est en effet le vêtement des modernistes ; et le haïk celui des traditionnalistes. Mais déjà la djellaba est remplacée par le costume tailleur ou la robe de ville, lorsque la femme musulmane appartient à une famille « up to date ».







Sur la façade de la banque commerciale du Maroc, se détache la silhouette d'un notable marocain, surpris par le photographe au moment où il pénètre dans une quincaillerie. Il est vêtu de la classique djellaba et coiffé du fez qu'au Maroc on appelle un tarbouch











                                                                                          








La jeune ouvrière sourit, tandis que sa campagne, plus âgée, se voile le visage pour ne pas être saisie par l'objectif. Dans ces deux attitudes, deux mentalités, deux générations, ou plutôt deux « Maroc », Celui du passé et celui de l'avenir.









 
















De jeunes marocains, les uns vêtus du costume traditionnel, les autres, habilles a l'européenne et nu-tête, prennent le thé à la menthe sous les yeux de S.M. le Sultan





 










  






Un petit métier, ne de la guerre, et qui continue à prospérer le gardien de bicyclettes. Casablanca n'a pourtant pas encore autant de cyclistes que Copenhague, et surtout ses cyclistes ne sont pas aussi bien disciplines que ceux des grandes villes du nord de l’Europe



Pour mieux voir le visage marocain de Casablanca, il faut évidemment s'aventurer dans les ruelles de la vieille médina. Le terme d'aventure est celui qui vient à l'esprit, au moins la première fois, car tout dépaysé le nouveau venu : les rues étroites ou les automobiles réussissent à passer au ralenti, les boutiques minuscules ou les cuirs et les tapis marocains voisinent avec des sacs de dame et des ceintures en plastique qui séduiraient les Parisiennes. Un marchand de babouches vend aussi des souliers à talons hauts et des espadrilles de plage.
Peu de monuments, au sens que nous donnons à ce mot. Le spectacle est dans la foule mi- marocaine, mi- européenne, car la vieille médina est une ville hispano-mauresque. La rue du Commandant Provost fut même autrefois « avant 1912 » le centre de la vie européenne. Aujourd'hui, l'on imagine avec peine les rares élégantes de cette lointaine époque se promenant près de Bab Marrakech, lorgnées par les brillants officiers du corps de débarquement qui prenaient leur apéritif sur la terrasse d'un minuscule estaminet.
La vieille médina de Casablanca se borde de remparts du côté de la mer. On les a classés comme monuments historiques au grand mécontentement des urbanistes, et dans cette affaire tout le monde a raison. Ces remparts, même sans grand caractère architectural, sont charges d'émouvants souvenirs, et quelques inscriptions les rappellent vers lesquelles on devrait parfois conduire les enfants des écoles. Mais les urbanistes et les hygiénistes rêvent sans doute d'une nouvelle ville aux larges avenues aérées. Déjà la place de France s'est agrandie au détriment du mellah et au profit de la sante publique. On veut espérer que son aménagement définitif, digne d'une grande ville comme Casablanca, ne sera plus longtemps retardé.

Près du palais de S.M. Sidi Mohammed, sur les hauteurs de mers-sultan, s'élève la grande mosquée de la nouvelle médina de Casablanca. La place voisine se couvre le vendredi d'une foule innombrable de croyants, qui viennent des secteurs les plus éloignés pour réaliser et sentir vivre l'oumma, c'est, à-dire la communauté islamique.

Très, vite cette vieille médina s'est' révélée incapable de contenir tous les travailleurs, négociants, employés, ouvriers, attirés par la naissance et le développement d'une métropole industrielle et commerciale. Il a fallu créer une autre ville, qu'on appelle la nouvelle médina et qui se trouve près du palais du Sultan, sur la colline de Mers-Sultan. Construite vers 1920 par des architectes français, cette cité moderne, patinée maintenant par le temps, semble plus réellement marocaine que l'ancienne, et c'est là que se rend le touriste s'il veut découvrir un coin de l'Islam traditionnel.

La nouvelle médina si pittoresque est devenue elle-même trop petite. En fait, elle n'a cessé et ne cesse de s'étendre de chaque côté de la route de Marrakech, de Ben M'Sick jusqu'à l'Hermitage. L'initiative privée et les décisions officielles ont abouti à la création d'une ville énorme, un peu disparate, dont la partie la plus récente, la blanche cité d'Aïn-Chock, est aussi la plus remarquable.

C'est par l'extension continuelle et méthodique de cette médina que l'on pourra un jour résorber les bidonvilles. Mais il faut savoir que si le mot est propre au Maroc, la chose se rencontre dans d'autres pays, qu'on cite volontiers comme étant à l'avant-garde du progrès technique et de la civilisation.
La structure sociale de la population musulmane résulte d'un compromis entre la hiérarchie traditionnelle fondée sur l'origine, le rang et la fonction de notre structure occidentale qui repose de plus en plus sur la fortune. Les grandes familles aristocratiques voisinent aujourd'hui avec les riches parvenus. Une classe moyenne importante s'est formée et se grossit de toute une jeunesse évoluée. Enfin, la masse des travailleurs constitue, avec la population flottante et les familles, un prolétariat énorme de 250.000 à 300.000 personnes.

Le comportement du travailleur musulman, suspendu entre deux sociétés, peut se trouver subitement modifie par une psychologie des masses qui échappe a l'analyse et il convient de l'examiner quelquefois d'un point de vue gênerai. II est certain que le prolétariat musulman manque d'homogénéité en raison d'une part des causes très diverses qui l'ont fait affluer : accroissement considérable de la popula­tion marocaine (3.000.000 en 1907, 8.500.000 en 1949) sans augmentation comparable de la capacité productive rurale, introduction de la centralisation et du dirigisme, mobiles d'ordre psychologique ; en raison d'autre part des différences ethniques.
Plus grave encore que le problème de l'habitat, apparaît donc le problème social pose par l'existence de plusieurs centaines de milliers de travailleurs marocains, pour la plupart ouvriers non qualifiés. Ces, Arabes et ces Berbères, venus de leur bled plus ou moins lointain, se groupent selon leur origine. Ils essaient de garder leurs coutumes tout en s'adaptant il la vie moderne. Aucun Barrès, marocain ne s'est encore penché sur le sort de ces déracinés. La plupart des Européens ignorent les problèmes de la nouvelle médina. Cependant des enquêtes sont faites à ce sujet, et la Semaine Pédagogique d'avril 1950 consacrée à l'étude du milieu nous en a apporté la preuve.
Il faut souhaiter que les Français ; prennent conscience du fait marocain, et Casablanca, grande ville moderne où vivent au moins 400,000 musulmans, leur permet de l'observer dans toute son ampleur, sinon dans tout son pittoresque.




Casablanca. La blanche et vaste cité musulmane d'Aïn-Chock.









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